ICM : « Les mathématiques ont une logique d’ensemble et de ponts inattendus »

CNRS

Du 6 au 14 juillet, le Congrès international des mathématiciens (ICM) 2022 se tiendra en virtuel. Parmi les prestigieux intervenants, les mathématiciennes Alice Guionnet et Laure Saint-Raymond présenteront leurs champs de recherche en mathématiques.

L’ICM est le congrès incontournable des mathématiques mondiales. Organisé tous les 4 ans, en lien avec l’International Mathematical Union (IMU), les médailles Fields, l’une des deux plus prestigieuses récompenses en mathématiques avec le prix Abel y sont notamment remises. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, a rendu impossible la tenue du congrès originellement prévu à Saint-Pétersbourg, et il a finalement été décidé de l’organiser de manière virtuelle, du 6 au 14 juillet. Seuls deux événements ont lieu en présentiel, à Helsinki (Finlande) : l’Assemblée générale de l’IMU qui s’organise avant chaque ICM et la remise des médailles Fields et des autres prix remis à cette occasion le 5 juillet.

L’ICM, une photo du paysage des mathématiques

Créé en 1897 et ayant lieu tous les 4 ans, l’année 2022 marque la 29e édition de la rencontre. Rythmée par des conférences plénières et conférences et évènements satellites1 , elle a pour objectif de promouvoir la coopération internationale en mathématique. Fort de son succès, les inscriptions pour assister en virtuel au congrès avaient déjà atteint leur capacité maximale bien avant l’ouverture de l’évènement. « L’ICM est une vraie opportunité pour la communauté des mathématiques de se retrouver, et propose un véritable instantané de ce qui se fait de mieux en mathématiques, de ce qui bouge. C’est l’occasion d’écouter des maths qui sont loin de notre domaine de recherche », rapporte la mathématicienne Alice Guionnet, directrice de recherche CNRS dans l’Unité de mathématiques pures et appliquées de l’ENS de Lyon[2]  qu’elle a dirigée de 2016 à 2021.

« Il faut penser aux gens qui vont écouter »

Alice Guionnet fait partie des 34 orateurs pléniers invités par l’ICM. Un véritable « honneur » et une reconnaissance des mathématiques qu’elle a contribuées à développer – notamment les matrices aléatoires - alors que les probabilités « n’étaient pas un domaine aussi reconnu » lorsqu’elle était encore étudiante. Une grande partie de ses travaux portent sur les grandes matrices aléatoires. Cet objet mathématique est apparu en statistique il y a près d’un siecle dans les travaux du statisticien John Wishart afin d’analyser des tableaux de données bruitées. Comme ces données sont de grande taille, cela revient à étudier une matrice aléatoire de dimension ‘’allant vers l’infini’’. Les grandes matrices aléatoires sont depuis intervenues dans de nombreux domaines des mathématiques et de la physique allant de la théorie des nombres à la physique nucléaire, en passant par l’apprentissage statistique et les réseaux de neurones. Alice Guionnet essaye de mieux comprendre cet objet et d’en approfondir la théorie, par exemple en étudiant les propriétés de son spectre, mais aussi d’en développer les applications dans d’autres domaines comme les algèbres d’opérateurs et l’apprentissage statistique.

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Parmi les prestigieux intervenants, les mathématiciennes Alice Guionnet et Laure Saint-Raymond. © CNRS/Frédéric Bellay/Sébastien Ruat/CNRS Photothèque

Autre oratrice plénière au congrès, Laure Saint-Raymond, professeur permanente au célèbre Institut des Hautes Études Scientifiques et membre du laboratoire Alexandre Grothendieck2 . « L’ICM représente un véritable enjeu de pédagogie. Il faut penser aux gens qui vont écouter, plutôt que de mettre en valeur ceux qui vont parler », souligne cette spécialiste des équations aux dérivées partielles. La mathématicienne s’intéresse à la modélisation mathématique des gaz et des fluides, et cherche notamment à comprendre comment on peut négliger certains détails (typiquement à l’échelle moléculaire) tout en conservant une description pertinente de leur dynamique à notre échelle d’observation. « Le fait qu’on puisse prédire cette dynamique à grande échelle a quelque chose de l’ordre du miracle quand on réalise la complexité des phénomènes microscopiques », dit-elle. Lors de sa conférence, elle présentera un panorama des résultats connus, et aussi des nombreuses questions encore en suspens : « même si l’on comprend certaines choses, il reste beaucoup de travail ». Car les orateurs pléniers de l’ICM se doivent d’être de véritables ambassadeurs de leurs champs de recherche. « Je vais parler des matrices aléatoires, expliquer leurs débuts, les idées clés qui ont permis au sujet d’émerger et aller jusqu’à certains développements récents et des problèmes ouverts », explique Alice Guionnet.

Soutenir la coopération internationale

Ce congrès sera aussi l’occasion de découvrir des champs de recherche en mathématiques différents les uns des autres. « Les mathématiques ont une cohérence d’ensemble. Il ne faut pas fermer la porte à des domaines a priori très lointains qui pourraient pourtant fertiliser mes propres champs de recherche. Il faut laisser la place à l’imprévu », indique Laure Saint-Raymond. Car les mathématiques naissent avant tout d’un travail collectif et de la confrontation d’idées, et leurs forces tiennent du fait de leur universalité. Également présent côté CNRS, François LÊ, maître de conférences de l’Université Claude Bernard Lyon 1 mènera la session plénière du prix Montucla de la commission internationale d’histoire mathématique et Marie-France Vigneras, professeure de l’Université de Paris, la session plénière Emmy Noether.

« Ce qui me plait dans la recherche en mathématiques, c’est que l’on est très libre de nos sujets. Les rencontres et notre créativité, ainsi qu’une bonne dose d’obstination, sont des moteurs importants de notre recherche », affirme Alice Guionnet qui, étudiante, se destinait à un avenir d’ingénieur avant de se découvrir une passion pour la recherche à l’École Normale Supérieure. Pour Laure Saint-Raymond, les mathématiques peuvent être comparées à un art et nécessitent curiosité et créativité : « Il existe une élégance dans les mathématiques. J’aime les choses simples : lorsqu’une démonstration mathématique se transforme en une image dans l’esprit. »

Programme : https://icm2022.abstractserver.com/program/#/program/1/horizontal

Streaming : https://www.youtube.com/c/InternationalMathematicalUnion

  • 1UMPA/ENS de Lyon/ CNRS.
  • 2CNRS/IHES.