La Chine regarde vers l’Europe pour ses prochaines collaborations scientifiques

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En octobre 2023, la venue de trois délégations scientifiques chinoises au Siège du CNRS a marqué la volonté chinoise de reprendre et d’approfondir ses coopérations avec la France et l’Europe.

Du 17 au 19 octobre 2023, le siège du CNRS se plaçait sous le signe de la Chine. Le 17, Marie Gaille, directrice de CNRS Sciences humaines et sociales, accueillait ses homologues de l'Académie des sciences sociales de Chine (CASS), organisation académique chinoise de premier plan au niveau des sciences humaines et sociales. Le lendemain, Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, recevait une visite de la National Natural Science Foundation of China (NSFC), principale agence de financement de la recherche fondamentale chinoise. Enfin, le 19, le PDG signait aux côtés de Jianguo Hou, président de l’Académie des sciences de Chine (CAS), principale institution scientifique du pays et parmi les premières au monde, le renouvellement de l’accord-cadre qui lie les deux organismes depuis 1978.

CAS, CASS et NSFC : trois acteurs majeurs de la recherche en Chine

L’Académie des sciences de Chine est la première institution de recherche mondiale, employant 70 000 personnes dont 82 % de chercheurs. Avec 106 instituts de recherche et trois universités, dont la prestigieuse University of Chinese Academy of Sciences, l’Académie couvre tous les domaines de la recherche sauf les sciences humaines et sociales. Elle signe plus de 67 000 publications par an.

L'Académie des sciences sociales de Chine, créée en 1977 et basée à Pékin, est une organisation académique de premier plan en Chine et un centre de recherche qui couvre aussi bien les domaines de la philosophie que les sciences sociales. L’Académie compte 39 instituts de recherche et 45 centres de recherche couvrant l’ensemble des disciplines des sciences sociales.

Enfin, la National Natural Science Foundation of China, créée en 1986, est la principale agence de financement de la recherche chinoise, elle soutient la recherche fondamentale, l’attractivité de talents et la coopération internationale.

Ces trois visites consécutives font écho à celle du président de la République française en Chine en avril 2023, lors de laquelle Emmanuel Macron a souhaité entretenir les liens entre les deux pays. Directeur du Bureau du CNRS à Pékin, Philippe Arnaud observe que « les autorités chinoises ont vu dans cette visite un signal positif pour la reprise des échanges humains, culturels et de coopération » et que la venue des trois délégations au CNRS « illustre la volonté chinoise de renforcer ses coopérations internationales, en se concentrant sur l’Europe en particulier ». En effet, outre le CNRS, la CAS a rencontré durant cette tournée le Laboratoire national de métrologie et d’essais en France, la Max Planck Society, l’Académie des sciences et le Helmholtz en Allemagne, et, au Royaume-Uni, l’Université de Cambridge et la Royal Society. Pour Philippe Arnaud, cet intérêt de la Chine pour l’Europe s’explique par « un contexte géopolitique, économique, stratégique qui reste compliqué après la sortie de l’épidémie de Covid-19 et qui n’est pas sans impact sur le développement de la coopération scientifique internationale souhaité par les autorités chinoises ».

Cette dernière décennie, la Chine s’est hissée au premier rang des puissances scientifiques mondiales, grâce à des investissements massifs, à de nombreux chercheurs de haut niveau, souvent formés à l’étranger, à l’attractivité de talents locaux et étrangers et à la coopération internationale, le tout conduit en application des plans quinquennaux orientant les politiques scientifiques. Le pays se classe désormais en pointe sur un certain nombre de domaines. Parmi eux, la physique des particules. Directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), Reynald Pain s’est rendu cet été à Zhuhai, en Chine méridionale, pour suivre de près l’avancée des travaux du Jiangmen Underground Neutrino Observatory (JUNO), à un an de son inauguration. Ce gigantesque détecteur étudiera les neutrinos, des particules élémentaires encore mystérieuses, produits par des réacteurs nucléaires situés à une cinquantaine de kilomètres du site. JUNO est le fruit d’une collaboration internationale, pilotée et lancée par la CAS, à laquelle participent les laboratoires français pilotés par l’IN2P3 depuis le lancement du projet il y a une dizaine d’années. Les chercheuses et chercheurs du CNRS y mènent un travail conjoint de recherche et développement : après une étude scientifique et technique, les équipes construisent et installent des appareillages nécessaires à JUNO. Pour Reynald Pain, la contribution du CNRS au projet chinois est une évidence : « unique en son genre à l’échelle internationale, JUNO est tout simplement le meilleur endroit au monde, aujourd’hui, pour étudier les neutrinos produits par les réacteurs nucléaires. Cette expérience ouvre une fenêtre unique sur la physique au-delà du modèle standard de la physique des particules ».

Immense expérience sous la forme d'une sphère métallique grise, on voit des personnes toutes petites montées dessus
L'expérience JUNO, qui étudiera les neutrinos, doit être inaugurée dans un an. © CNRS

Autre exemple de collaboration : le satellite SVOM, dédié à l’étude des sursauts gamma, qui décollera en mars prochain. Il s’agit d’un projet chinois, initié par la CAS et l’agence spatiale chinoise, et dans lequel la France est fortement impliquée depuis 2014. Derrière le Centre national d’études spatiales, maître d’œuvre français, pas moins de 11 laboratoires français sont partie prenante, dont 9 co-pilotés par le CNRS. Pour Reynald Pain, ce satellite, doté de multiples instruments de pointe et épaulé par un vaste réseau d’antennes et de télescopes dédiés au sol, « va mettre la Chine au premier plan dans l’étude de ces sursauts gamma ».

2 International Research Laboratories
15 International Research Projects
4 International Research Networks
4000 copublications annuelles entre le CNRS et la Chine

Pour autant, la coopération scientifique avec la Chine peut parfois glisser vers la compétition internationale. Tout en reconnaissant la valeur du pays dans le domaine, Reynald Pain se montre prudent sur d’autres coopérations franco-chinoises en physique des particules. Ainsi, la Chine, via un laboratoire de la CAS, ambitionne de construire d’ici 2040 un collisionneur circulaire d'électrons et de positrons, c’est-à-dire un accélérateur de particules d’une centaine de km… entrant ainsi directement en compétition avec le futur collisionneur circulaire développé par l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern). Le directeur de l’IN2P3 se montre clair à ce sujet : « Notre priorité est de soutenir le projet européen, ce qui ne nous empêche pas de dialoguer avec les partenaires chinois ».  De manière plus générale, pour Philippe Arnaud, « dans une économie qui se cherche de nouvelles sources de développement, la R&D chinoise affirme chaque jour son appétence pour le transfert de technologie dans bon nombre de secteurs industriels et stratégiques ». Les laboratoires de la CAS et les universités sont de fait souvent adossés à des parcs technologiques, au sein desquels on trouve pépinières d’entreprises et grands groupes industriels chinois, ce qui accélère grandement le transfert de la science vers l’innovation.  Ce constat fait, pour le directeur du Bureau de Pékin, « les viviers d’excellence de la recherche chinoise, désormais reconnus internationalement, peuvent aussi être des opportunités de partenariats de très haut niveau dont nous pouvons bénéficier en s’appuyant sur des compétences et des échanges scientifiques et humains plus équilibrés, en gardant le souci de la protection de nos intérêts ».

C’est dans cet esprit que, lors du renouvellement de l’accord-cadre avec la CAS, le CNRS, son premier partenaire international devant le Département de l’énergie états-unien, Harvard ou encore l’Université de Tokyo, a retenu quatre domaines prioritaires de coopération. Outre les collaborations en physique des particules, la CAS et le CNRS ont convenu de structurer leur coopération en mathématiques fondamentales et appliquées, de créer un centre virtuel pour étudier la biodiversité et l’impact du changement climatique et de poursuivre leurs recherches autour des océans. Autant de défis globaux à relever et de coopérations scientifiques structurées à renforcer dans une relation respectueuse et de confiance avec un acteur scientifique aux premiers rangs de la recherche scientifique mondiale.