L’envolée d’Ocean Sentinel récompensée par l’Europe

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Grâce à son nouveau concept de surveillance de pêche illégale, Ocean Sentinel reçoit le prix Horizon Impact 2020.

Concept « très nouveau » avec un « potentiel d’application pour la vie économique et sociétale », le projet ambitieux d’Ocean Sentinel permet de lutter contre la pêche illégale en utilisant un système de balises embarquées sur des oiseaux marins. Celui-ci s’est vu décerner fin 2020 un prix Horizon Impact de 10 000 euros par la Commission européenne.

Ocean Sentinel, qui regroupe des chercheurs du CNRS et de l’Université de La Rochelle, avait reçu en 2018 une bourse du programme du Conseil européen de la recherche (ERC) « Proof of concept », qui finance le potentiel d’innovation d’un résultat de recherche fondamentale.  Il s’est construit dans le prolongement d’un premier programme ERC « Early Life » sur le suivi des jeunes animaux marins durant leurs premiers mois de vie. « Provenant directement de la recherche fondamentale en conservation, Ocean Sentinel a su se faire une place aux côtés de projets de recherche purement appliquée d’informatique et de médecine », se réjouit le porteur du projet, Henri Weimerskirch, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé1

Il fait partie des cinq projets du programme cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne Horizon 2020 récompensés cette année par un Horizon Impact Award. Ce prix, lancé il y a deux ans, met en avant des résultats concrets de projets financés par l'Union européenne qui ont un impact démontré sur nos sociétés dans les domaines économique, sociétal, politique et environnemental. Les quatre autres projets récompensés en 2020 sont un outil d’intelligence artificielle pour la conservation, un système de nouvel écran transparent écoresponsable, un logiciel pour réduire l’empreinte carbone des avions, ainsi qu’un appareil offrant mobilité et indépendance aux enfants qui attendent une transplantation cardiaque.

Depuis les années 1980, Henri Weimerskirch développe et utilise des balises pour suivre des oiseaux marins. Avec son équipe, composée d’une dizaine de chercheurs CNRS, ce spécialiste en écologie et en oiseaux marins a équipé 169 albatros des îles Crozet, Kerguelen et Amsterdam, dans les Terres australes et antarctiques françaises, d’un nouveau système de balises-capteurs, qui permettent de détecter les émissions radars de tous les bateaux qu’ils croisent. Ces oiseaux de grandes tailles sont fortement attirés par les bateaux de pêche, ce qui a permis à l’équipe d’Ocean Sentinel de les transformer en patrouilleurs des océans. En parallèle, l’équipe pouvait croiser les résultats des balises avec les données AIS2 émises par les bateaux déclarés et celles des autorités françaises afin d’identifier des bateaux « non déclarés ».

Photo albatros
Grand albatros, "Diomedea exulans", équipé d'une balise Centurion, sur l'île de la Possession, dans l'archipel Crozet, dans le sud de l'océan Indien. © Alexandre CORBEAU/CEBC/CNRS Photothèque

Entre novembre 2018 et mai 2019, les albatros ont pu patrouiller plus de 47 millions de km2 et couvrir quasiment tout le sud-ouest de l’océan Indien, atteignant ainsi également les zones économiques maritimes australiennes et sud-africaines. La méthode a permis aux chercheurs d’estimer à entre 10 % et 15 % de pêche illégale dans la zone économique française. Dans la zone sud-africaine aucun des bateaux croisés par les albatros n’était déclaré, et dans les eaux internationales près de 1/3 des navires approchés par les albatros avait son système AIS déconnecté. « Ces informations sur la pêche illégale montrent qu’il est possible de développer une surveillance maritime via les oiseaux marins, alors que la surveillance de la pêche dans les eaux du grand large reste quasiment impossible aujourd’hui », estime Henri Weimerskirch.

Des résultats qui ont su attirer l’attention. « Plusieurs pays ont d’ores et déjà importé le concept, comme le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande qui utilisent les capteurs développés par Ocean Sentinel », indique le chercheur qui est aujourd’hui approché par d’autres pays pour appliquer le concept en Europe et en Australie. Si l’engouement s’est fait sentir, Ocean Sentinel a également fait des vagues en Europe alors que certains pays - comme l’Espagne - étaient pointés du doigt.

Outre la concurrence déloyale pour les pêcheurs respectant la réglementation, la pêche illégale représente une menace grave pour les ressources marines mondiales alors que l’Union européenne a désigné la protection des océans comme l’un des grands défis contemporains au travers de sa mission Starfish. Le nouvel outil Ocean Sentinel devrait donc pouvoir participer à l’effort de travail pour répondre à ce grand enjeu. Par-delà l’Europe, « la convention internationale pour la conservation des ressources marines antarctiques (CCAMLR), qui réunit près de 40 pays, réfléchit aujourd’hui à la meilleure façon de pérenniser le concept dans la zone australe », rapporte le directeur de recherche.  

Avec son équipe, il guette déjà les prochains projets : un nouveau programme autour des iles Hawaï dans le Pacifique nord - pour l’instant repoussé d’un an à cause de la crise sanitaire - ainsi que la continuation du programme en zone australe, mais sur de plus petites espèces d’oiseaux marins avec une version miniaturisée du « capteur testé avec succès cette année à Kerguelen ». « Ocean Sentinel est l’exemple même qu’un projet de recherche fondamentale en écologie peut déboucher sur du concret », réaffirme Henri Weimerskirch.

  • 1 CNRS/Université de La Rochelle.
  • 2Automatic Identification System.