« Nous sommes le seul organisme de recherche qui peut apporter une vision complètement intégrée de l’océan »

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Les océans sont au cœur des agendas politiques et scientifiques des années à venir. Avec plus de 2 000 chercheurs en lien avec l’océan dans une cinquantaine de laboratoires, le CNRS se mobilise à tous les niveaux d’actions.

La mer monte… dans la liste des priorités sociétales et scientifiques. Depuis longtemps malmené, l’océan subit l’usage intensif de ses ressources, la destruction de ses habitats et les effets du changement climatique. « Jusqu’à présent, régnait la vision partagée d’un océan indestructible de par sa grande taille. Il était un point fixe de notre planète. Mais sa transformation visible en a fait un vrai sujet d’attention », constate Cyril Moulin, directeur adjoint de l’Institut national des sciences de l'Univers (INSU) du CNRS. En effet, la fonte des glaces, la survenue d’événements extrêmes ou encore l’émergence d’un continent de plastique sont autant de marqueurs qui illustrent ce traumatisme et inquiètent les citoyens du monde.

L’océan figure désormais en tête dans de nombreux agendas - illustré récemment par la création d’un Ministère de la mer suite au remaniement du gouvernement du 6 juillet, avec à sa tête Annick Girardin. Une dynamique multi-échelle s’est enclenchée du niveau international jusqu’au local afin d’identifier les actions à mettre en œuvre pour soutenir sa résilience. Parmi les grands enjeux : sa  contribution aux phénomènes climatiques, l’acquisition de nouvelles connaissances sur son fonctionnement, la protection des écosystèmes et de la biodiversité, l’exploitation durable des milieux marins ainsi qu’une gouvernance adaptée. « Dans ce cadre le CNRS, qui est un des premiers organismes de recherche mondiaux sur la thématique océanique, s’est fixé comme objectif de fédérer au mieux les acteurs au travers d’approches interdisciplinaires, et s’affirme comme  un interlocuteur majeur du domaine », indique Anne Corval, conseillère auprès du directeur général délégué à la science du CNRS. Pour cela, l’organisme s’est engagé sur les différents chantiers en cours.

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Les chercheurs réalisent des prélèvement de macro- et microplastiques sur la plage des Rouleaux dans la baie Sainte-Marie en Guadeloupe, une plage exposée au gyre de l'océan Atlantique nord, un vaste ensemble de courants océaniques accumulant d'immenses quantités de plastiques. © Cyril FRESILLON / PEPSEA / CNRS Photothèque

2021-2030 : la décennie des sciences océaniques pour le développement durable

Tout est parti de là : une décennie pour les sciences océaniques. Cette démarche, initiée par les Nations Unies, s’attaque notamment à l’objectif de développement durable 14 (ODD14) de l’Agenda 2030 sur la conservation de la vie aquatique. Heure de lancement : janvier 2021. Cet effort mondial implique des scientifiques, des décideurs politiques, des ONG et d'autres parties prenantes. Le plan d’action de la décennie a été réalisé par un comité d’experts mandatés par la commission océanographique intergouvernementale (COI) de l’Unesco auquel ont contribué le Comité scientifique pour la recherche océanique (SCOR) et Future Earth Ocean1 . Pour Marie-Alexandrine Sicre, présidente du SCOR et chercheuse CNRS en paléoclimat : « La réussite de ce projet interdisciplinaire repose sur notre capacité à décloisonner la science et le milieu politique ». En effet, le programme veut transformer la façon dont se posent les questions scientifiques en intégrant davantage de partenariats pour une construction multi-acteurs.

Afin de faire face aux problématiques de chaque région du monde, l’UNESCO a procédé à des consultations par régions océaniques. La France s’est emparée du dossier par l’intermédiaire du Secrétariat général de la mer (SGMer), service auprès du Premier ministre, qui mettra prochainement en place un comité scientifique où siégera le CNRS. Mais au-delà de l’identification des problèmes, la décennie se veut porteuse de solutions. Les études auront donc besoin de systèmes d’observation et d'information performants. En ce sens, le CNRS, l'Ifremer et l'IRD se sont positionnés conjointement comme des acteurs clé des systèmes d'observation régionaux lors de la conférence internationale OceanObs’19. Leur prise de parole soutenait également la mise en place du partage des données à l'échelle mondiale. « Des conventions régionales sur ce partage des données existent entre plusieurs pays d’Afrique et fournissent un cadre de collaboration pour la protection et la gestion de l’environnement marin et côtier », relève Marie-Alexandrine Sicre.  

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Le Antea est un catamaran de 35 m qui opère en océan Atlantique et Indien. Basé en France, il réalise des missions en océanographie physique, en biologie et est utilisé en tant que navire support pour des missions de plongée afin de réaliser des études de la biodiversité. © Erwan AMICE / LEMAR / CNRS Photothèque

Mission européenne pour la santé des océans

Le choix des Nations Unies reflète aussi les enjeux gigantesques du futur de notre planète en lien avec les océans qui nourrissent plusieurs milliards de personnes. La décennie est l’élément déclencheur de nombreuses démarches régionales notamment la mission Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales, une des cinq missions du nouveau programme Horizon Europe (2021-2027). Son objectif ? Régénérer les écosystèmes marins et d'eau douce européens d'ici 2030. En ligne de mire : la diminution des impacts anthropiques (pollution, tourisme, pêche…) et climatiques (acidification, événements extrêmes…), la gouvernance des océans, l’accroissement des connaissances et le renforcement des interfaces sciences et société.

En tant que deuxième plus grande zone économique marine exclusive, la France est fortement concernée par les enjeux océaniques. Le SGMer a monté un groupe contact français visant à représenter, d’une seule voix, la stratégie française en réponse à la mission européenne. Dans ce contexte, le CNRS insiste auprès des autres représentants français sur l’importance de la mise en œuvre de nouveaux descripteurs de l’état de santé du milieu aquatique. Il soutient également le développement d’un jumeau numérique de l’océan, sa modélisation et l’amélioration de la collecte et du traitement de données. Objectifs qui font écho au Green Deal européen pour une Europe climatiquement neutre d’ici 20502 . De plus, le CNRS est prêt à s’engager sur la question prégnante des énergies marines renouvelables (EMR) notamment la caractérisation des potentiels impacts environnementaux potentiels de ces installations offshore. En effet, les EMR s’inscrivent à la fois dans le Green Deal, ainsi que dans la problématique de « décarbonation » de l’océan de la mission Europe qui vise à augmenter de 200 % les EMR d’ici 2025 et que 35 % du mix énergétique provienne des EMR (éolien, marée, houle) en 2030.

L’océan : des enjeux à l’échelle de la France et du CNRS

Sous la houlette du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) et du Secrétariat général pour l’investissement, un programme prioritaire de recherche (PPR)3 sera co-piloté dès 2021 par le CNRS et l’Ifremer. Les deux acteurs coordonnent déjà ensemble le groupe de travail océan de l’alliance nationale de recherche pour l’environnement AllEnvi4 . Le PPR devrait alimenter les réflexions nationales dans le cadre des de la mission européenne sur la santé des océans et de la décennie des sciences océaniques. Au niveau français, trois zones présentant des enjeux spécifiques ont été ciblées : les territoires d’outre-mer, l’océan profond et les océans polaires. Une attention particulière sera aussi portée aux espaces littoraux et côtiers.

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 Le Teisten, bateau côtier de travail au large la base scientifique de Ny-Alesund,  au large de l'île Spitzberg (océan Arctique), réalise des prélèvements qui visent à étudier l'impact des changements climatiques et hydrologiques sur la réponse biologique d'écosystèmes marins. © Jean-Philippe LABAT/CNRS Photothèque

Afin de quantifier son activité, le CNRS lance une étude bibliométrique avec l’Institut de l'information scientifique et technique (INIST) sur ses publications en sciences océaniques. « Nous sommes aussi un organisme expert indépendant capable de se saisir de questions sociétales dans la mise en place d’expertise collective, comme celle attendue pour l’exploration et l’exploitation des fonds marins », ajoute Anne Corval. Mais la stratégie du CNRS ne se limite pas à répondre aux besoins d’autres instances. C’est pourquoi, il s’organise aussi en interne. Depuis 2018, il dispose d’une Task force océan regroupant les dix instituts. Celle-ci diffuse les informations sur les programmes et les financements de recherche. Elle a aussi pour vocation de renforcer l’interface entre scientifiques et décideurs.

Le CNRS a récemment souhaité se structurer en interne et mettre en place une stratégie propre s’appuyant sur la grande étendue de ses forces. « Nous avons une diversité d’approche unique et nous sommes le seul organisme de recherche qui peut apporter une vision complètement intégrée de l’océan. Pourtant, jusqu’à présent nous n’étions pas organisés pour le faire », expose Cyril Moulin. C’est pourquoi un groupement de recherche (GDR)5 dédié à l’océan est en cours de création. Celui-ci fédérera des communautés de chercheurs de tous les instituts dès 2021. Cet espace de réflexion permettra d’amorcer le dialogue entre les disciplines et de créer de nouvelles dynamiques de recherche.

Ce GDR s’ancre également dans la vision de la décennie des sciences océaniques déclinée à l’échelle de l’organisme. Il s’organise autour de quatre grands thèmes portant sur l’état de santé de l’océan, sa modélisation globale, l’étude des écosystèmes et socio-écosystèmes marins, et la préservation de la biodiversité et de ses ressources (nourriture, énergie, matières premières). À Anne Corval d’ajouter : « La stratégie d’organisme du CNRS porte ses fruits. Nous avons déjà plus de visibilité en tant qu’institution, et non plus uniquement à travers l’expertise de nos chercheurs. Cela nous permet d’alimenter l’agenda politique et d’être présents sur les grands enjeux scientifiques des océans qui vont se jouer à l’échelle mondiale dans les années à venir ».

  • 1Programme de recherche international encourageant les approches interdisciplinaires pour accélérer les transformations vers développement durable.
  • 2Une des six priorités de la Commission européenne pour 2019-2024.
  • 3Programme ministériel voué à rassembler l’ensemble des parties prenantes (acteurs scientifiques, économiques, associatifs, etc.) autour de projets thématiques. Le PPR sur les océans servira de référence pour les différentes actions de renforcement de la recherche.
  • 4Elle fédère les forces de la recherche publique pour coordonner la recherche environnementale française.
  • 5Structure labellisée et financée par le CNRS afin de former un réseau de chercheurs autour d’une thématique.