PEPR ATLASea : Plongée dans le génome du biotope marin

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Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire ATLASea – piloté par le CNRS et le CEA – séquencera le génome de 4 500 espèces de la zone économique exclusive française. Doté un budget de 41,23 millions d’euros sur 8 ans, il servira, entre autres, à l’identification de fonctions biologiques d’intérêt industriel ou médical et à l’étude d’espèces invasives. Entretien avec Hugues Roest Crollius, directeur du programme pour le CNRS.

Le PEPR ATLASea, que vous coordonnez avec Patrick Wincker (pour le CEA), vise à répertorier et à exploiter le génome d’espèces animales et végétales marines. Pourquoi est-ce important de dédier un programme à ce sujet ?
Hugues Roest Crollius1  : Le génome connecte tous les êtres vivants sur Terre au sein du même arbre phylogénétique qui répertorie les liens de parenté entre les espèces. Son séquençage permet ainsi de retracer l’évolution des processus biologiques, mais aussi de connaître l’information génétique d’un individu, d’examiner le fonctionnement de ses cellules et la répartition de ses gènes. Nous sommes persuadés qu’avoir accès à cette information pour un grand nombre d’espèces sera vital à l’avenir de la biologie. Et nous ne sommes pas les seuls. On observe actuellement une émulation globale sur le séquençage de la biodiversité. De nombreux projets amorcés par différents pays ciblent des grands groupes taxonomiques comme les vertébrés et les insectes. Ainsi, l’initiative Earth BioGenome Project coordonne de nombreux efforts dans le monde visant à séquencer le génome de toutes les espèces eucaryotes de la planète. Mais les Français sont peu présents au sein de ces actions. C’est pourquoi, le programme ATLASea veut réintégrer la France dans ce paysage international et maintenir l’acquisition d’un savoir-faire sur le séquençage et son exploitation.

Pourquoi avoir choisi de cibler 4 500 espèces de la zone économique exclusive (ZEE) française ?
H. RC : La France a le deuxième plus grand domaine maritime du monde. Cette position nous donne une responsabilité quant à l’étude de la biodiversité marine. Nous avons aussi un tissu économique fort autour de l’exploitation du biotope marin. Enfin, la France a déjà investi beaucoup de ressources au cours des siècles précédents dans l’étude de l’environnement marin avec des stations et des infrastructures performantes intégrées au réseau European marine biological resource centre.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons décidé d’investir le PEPR sur la biodiversité marine. Aujourd’hui, 12 000 espèces ont été recensées dans la ZEE en France métropolitaine. Nous sommes persuadés que notre projet servira à en échantillonner plusieurs milliers sur le littoral métropolitain et quelques centaines dans les territoires d’outre-mer en ciblant en particulier les espèces ayant un intérêt scientifique et/ou économique.

Comment va s’organiser le PEPR ?
H. RC : Il se décompose en trois phases. La première portera sur le prélèvement d’échantillons à pied sur le littoral et lors d’expéditions au large et en profondeur. Nous explorerons notamment certains canyons méditerranéens où la vie a su se développer en l’absence de lumière. Il est d’ailleurs assez probable que nous trouverons de nouvelles espèces. Cette partie sera réalisée en collaboration étroite avec des taxonomistes, et nous enverrons les échantillons au Genoscope (administré par le CEA) qui est en charge de les séquencer.

Ce grand équipement français du réseau France Génomique permettra ensuite d’extraire de longues chaînes d’ADN avant de reconstituer la totalité de la séquence du génome tel qu’il est au niveau des noyaux des cellules. L’ambition d’ATLASea est d’aboutir à des génomes de référence, c'est-à-dire complets et non plus fragmentés comme cela a longtemps été le cas. Le Genoscope peut déjà réaliser des séquençages à la qualité requise, mais nous allons le renforcer par de nouvelles machines à l’état de l’art afin de traiter davantage de génomes par jour.

La dernière étape consistera en l’annotation informatique de l’ADN pour y repérer les gènes. Les génomes seront finalement stockés dans des bases de données ouvertes et accessibles à la communauté internationale. En parallèle, le PEPR aura un volet formation important afin de maintenir le savoir-faire français : écoles d’été, workshops, encadrements de doctorants, etc.

En plus de cette collecte et ce partage de données, vous ciblez deux applications en biologie. Pouvez-vous nous les présenter ?
H. RC : En effet, deux appels à projets seront lancés auprès de la communauté scientifique. Le premier portera sur la mécanique moléculaire. L’enjeu est de caractériser les voies métaboliques qui mènent à des molécules d’intérêt pour la médecine, la cosmétique, l’agriculture, etc. qui sont produites par le biotope marin. Séquencer les espèces connues pour leurs fonctions d’intérêt permettra de mieux comprendre les voies de synthèses qui sont codées dans le génome et leur diversité.

Le deuxième appel à projet utilisera les génomes de référence pour répondre à des questions d’invasion d’espèces dans un écosystème donné (algues, poissons, crustacés…). Nous savons que ces invasions sont souvent dues à des activités humaines (transport par bateau, introduction d’espèce en aquaculture, ostréiculture, etc.) et sont accentuées par le réchauffement climatique. Nous voulons savoir en particulier ce qui se passe au niveau génomique : est-ce que ces invasions entraînent des hybridations d’espèces proches ? Peut-on expliquer le succès d’une espèce par de la sélection naturelle ? Et plein d’autres questions qui seront rendues abordables par la connaissance des génomes.

Comment les résultats du PEPR bénéficieront à d’autres secteurs français ?
H. RC : Nous allons financer des partenariats publics-privés sur l’exploitation des données génomiques. L’idée est de montrer que la connaissance génomique peut optimiser des processus industriels. Nous voulons donc sensibiliser les entreprises françaises qui travaillent déjà avec les produits de la mer. Nous pourrons séquencer les espèces qui les intéressent en priorité via ces partenariats. Mais surtout, les aider à exploiter les résultats pour faire, par exemple, de la sélection d’espèces en culture ostréicole ou d’algues. Les résultats scientifiques contribueront également aux efforts de conservation des espèces marines. En effet, les données génomiques sont utiles pour suivre des espèces et identifier les plus fragiles aux variations de leur environnement, ou encore étudier leurs pathogènes. Cet outil sera donc une arme supplémentaire à des fins de biosurveillance.

Vous avez mentionné l’émergence de projets internationaux dédiés au séquençage de la biodiversité. Comment les résultats du PEPR s’intégreront-ils dans  ce paysage ?
H. RC : Les espèces ne connaissent pas de frontière, il sera donc primordial d’échanger avec nos collègues des pays avec qui la France partage des espaces marins pour ne pas faire deux fois la même chose. Nous interagissons déjà avec les porteurs du projet Darwin Tree of Life qui veut séquencer l’ensemble des espèces eucaryotes des îles britanniques. En ce sens, toutes les espèces ciblées par les différents projets de séquençage à travers le monde sont déjà listées dans une base de données ouverte et commune. Celle-ci répond d’ailleurs à un grand défi : faire en sorte que toutes les données génomiques intègrent à terme le même arbre phylogénétique. Cette base de données ouvrira également de nouvelles opportunités de recherche. Par exemple, si un gène d’intérêt est identifié dans une espèce de poisson, il sera possible de récupérer la liste de tous les gènes homologues de tous les poissons qui ont été séquencés dans le monde. ATLASea contribuera donc à la mise en place de cette génomique comparative à très grande échelle et en bénéficiera directement.

  • 1Biologiste spécialisé dans l’étude du génome à l’Institut de biologie de l’École normale supérieure (CNRS/ENS/Inserm).