Quelles solutions face aux PFAS ?

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À l’heure où les règlementations européenne et française encadrent de plus en plus sévèrement l’usage des PFAS, le CNRS organise du 27 au 28 mars 2024 en son siège parisien un colloque sur ces composés fluorés. L’occasion de montrer comment la science peut les détecter, dégrader et, à terme, les remplacer.

Concordance des temps : en mars 2024, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ont voté pour l’interdiction des substances per- et polyfluoroalkylées, plus connues sous leur nom de PFAS, dans les emballages alimentaires ; le 27 de ce mois, la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l’Assemblée nationale française étudiera une proposition de loi allant dans le même sens ; et ce même jour, et jusqu’au lendemain, se tiendra un colloque organisé par le CNRS sur le sujet.

 

Des propriétés fantastiques aux « polluants éternels »

C’est dire si cette classe de molécules fait l’actualité. Et pour cause. Comme le souligne Cyrille Isaac Sibille, rapporteur de la proposition de loi française : « au cours des années 2010 et 2020, les publications internationales devenant de plus en plus alarmistes, les méthodes pour quantifier les PFAS devenant de plus en plus précises, les analyses se multipliant sur la planète, la prise de conscience s’est accéléré ». Pourtant, jusqu’il y a peu, ces composés chimiques étaient plutôt réputés pour leurs propriétés intrinsèques et leur grande persistance dans le temps, permise par leurs liaisons carbone-fluor très stables… et très peu dégradables une fois dans l'environnement, d’où leur surnom de « polluants éternels ». Soit autant de vertus à double tranchant. Martina Knoop, directrice de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (Miti) du CNRS, les décrit ainsi comme une famille de « molécules très stables dans le temps, qui possèdent des propriétés magnifiques, mais ne se dégradent pas et tendent, en conséquence, à s’accumuler dans les corps, dans l’eau et dans les écosystèmes ». Cette accumulation dans les corps est massive, comme l’a montré en 2019 une étude menée par Santé publique France, qui révélait que, pour certains composés perfluorés, 100 % de la cohorte analysée en était imprégnée.

À la fois antiadhésives, imperméabilisantes ou encore résistantes aux fortes chaleurs, les PFAS sont par conséquent largement utilisés depuis les années 1950 dans divers domaines industriels et produits de consommation courante : textiles, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs, cosmétiques, produits phytosanitaires, etc. mais également les emballages alimentaires en raison de leurs propriétés barrières et en particulier barrières aux graisses. « Or, comme le relève Sébastien Lagoutte, responsable de la filière chimie et matériaux à la direction des relations avec les entreprises (DRE) du CNRS, l’alimentation est l’une des principales voies de contaminations de l’homme aux substances perfluorées, dont les effets sur la santé ont été démontrés ».

 

Détection de PFAS dans l'eau
Détection de PFAS dans l'eau. © Michigan Department of Environment, Great Lakes, and Energy / Flickr

 

La science à la recherche d’alternatives aux PFAS

Au vu de la dangerosité de ces molécules, les règlementations se font de plus en plus sévères à leur encontre. Or, toute interdiction de ces molécules suppose, pour les secteurs économiques qui les utilisent, d’y trouver des substituts ou des alternatives. Se pose par ailleurs la question des PFAS existants et dispersés et les façons de remédier à leurs effets délétères. C’est tout l’enjeu du colloque « PFAS : enjeux et alternatives » qu’organisent conjointement la DRE et la Miti, qui mobilise aussi bien les interactions interdisciplinaires que socio-économiques sur ce sujet complexe. Carole Chrétien, directrice de la DRE, considère cet événement « innovant et inédit, car, pour la première fois, le CNRS propose en amont, à partir d’enjeux scientifiques repérés au sein des laboratoires sous sa tutelle, un sujet à fort impact sociétal et d’une grande importance économique et pragmatique pour les entreprises ». Du fait de son expertise scientifique, le CNRS peut se positionner comme un acteur incontournable auprès de ses partenaires économiques afin de les accompagner dans cette transition chimique et industrielle. La directrice de la MITI juge en effet qu’« en raison de sa complexité, le sujet des PFAS ne pouvait pas être abordé par un acteur seul. Fort de son interdisciplinarité, le CNRS joue vraiment son rôle car il se situe à l’interface entre les sciences et l’ensemble de la société avec toutes ses parties prenantes et est capable d’identifier en amont des sujets sur lesquels il faut faire de la recherche, parce qu’il y a des forts enjeux sociétaux et économiques ».

De fait, l’organisation de ce colloque a permis de mesurer à quel point les scientifiques du CNRS s’étaient d’ores et déjà emparés de ces questions. Depuis un premier colloque en 2023 sur les pollutions engendrées par les PFAS, Martina Knoop a poursuivi cette thématique à fort enjeu de société au sein de la Miti et  a remarqué « la place centrale » qu’occupent les PFAS dans sa programmation de sa mission : « Sur les 84 projets soumis à notre appel à projets sur la pollution et la dépollution, 15 concernaient les PFAS ». Sur la question des PFAS, DRE et Miti veulent désormais mettre en contact des équipes de recherche fondamentale et des entreprises concernées par un changement de règlementation . Outre la détection de plus en plus fine des PFAS dans l’environnement, ces projets de recherche développent dès à présent des solutions, aussi à destination des industriels, avec lesquels les scientifiques collaborent de plus en plus sur le sujet. Sébastien Lagoutte en donne quelques exemples. En matière de remédiation, c’est-à-dire de capture des PFAS dans l’environnement, le projet Cleaneau, issu de l’Institut européen des membranes1 et lauréat de la 10ème promotion du programme RISE, développe un matériau plate-forme basé sur des molécules cycliques fonctionnelles intégrées dans un réseau de polymères réticulés pour le traitement de l’eau. Les deux éléments constituant le matériau peuvent être adaptés et réadaptés pour capter sélectivement différentes familles de polluants. L’efficacité de ce matériau a été démontrée pour la capture de l’iode, des PFAS, de quelques métaux lourds et de l’or.

Comme observe le responsable de filière, « face à l’évolution du contexte réglementaire et de la nécessité d’agir face à la pollution existante », les collaborations avec les industriels tendent à se multiplier, à l’instar des recherches conjointes entre l’entreprise de désamiantage et dépollution des sols Valgo et l’Institut de chimie séparative de Marcoule2 pour le procédé de dégradation par sonochimie3 , le laboratoire commun (Labcom) ASCI entre le groupe SEB, au travers de sa marque TEFAL, et le Laboratoire des multimatériaux et interfaces4 lancé en 2018 ou, plus récemment, le Labcom ANR entre la start-up Grapheal, spécialisée dans la détection et le dosage de composés chimiques et biologiques, et le laboratoire Environnement dynamique et territoires de la montagne5 en vue de développer des tests digitaux rapides pour la détection de PFAS sur le terrain.   

En somme, comme le note Carole Chrétien, « la science est aussi là pour trouver des solutions, tant aux problèmes existants qu’aux manières de mettre en place ces solutions avec les entreprises, d’où la nécessité de travailler avec le monde économique ». Une chose est sûre : vu la surréservation des inscriptions, qui ont dû fermer plusieurs jours à l’avance faute de places, les industriels ont bien compris ce que pouvait leur apporter le CNRS.

 

  • 1CNRS / ENSC Montpellier / Université de Montpellier.
  • 2CEA / CNRS / ENSC Montpellier / Université de Montpellier.
  • 3La sonochimie est un domaine de la chimie qui étudie les effets des ondes ultrasonores sur les réactions chimiques.
  • 4CNRS / Université Claude-Bernard.
  • 5CNRS / Université Savoie-Mont-Blanc.