Science ouverte : une vision internationale partagée avec l’Amérique du Sud

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Comment faire avancer la science ouverte à l’échelle planétaire ? La troisième rencontre internationale France/Amérique du Sud sur la science ouverte a fait apparaître de nombreux ponts entre le CNRS et les établissements de recherche sud-américains. Cette rencontre élargie à l’Afrique et l’Amérique Latine a permis de discuter, au sein d’un réseau international, de telles questions les 13 et 14 septembre 2023. 

« La science ouverte propose une réorientation de la science vers la coproduction des connaissances pour les besoins de la communauté. Il s’agit d’un changement culturel et des pratiques scientifiques afin de promouvoir la production de connaissances pour une société plus juste ». Dès son ouverture institutionnelle, Daniel Filmus, ministre argentin de la science, de la technologie et de l’innovation, rappelle les enjeux de la science ouverte qui sont au cœur des échanges de la troisième rencontre internationale France-Amérique du Sud sur la science ouverte qui se tenait les 13 et 14 septembre sur le campus Pierre-et-Marie-Curie à Paris.

Fidèle à la recommandation de l’UNESCO sur la science ouverte, qui reconnaît que « la science ouverte respecte la diversité des cultures et des systèmes de connaissances du monde entier en tant que pilier du développement durable », Marcia Barbosa, secrétaire d’État au ministère de la science, technologie et innovation du Brésil (MCTI), souligne à son tour que « les frais de publication de certaines revues sont une tentative colonialiste pour nous forcer à écrire en anglais et selon certains standards ! ».

Cette rencontre, la troisième en deux ans, témoigne de la vitalité des échanges entre la France et l’Amérique latine autour de la science ouverte. Co-organisée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), le CNRS et l’IRD, en partenariat avec le secrétariat des politiques et programmes stratégiques du MCTI, cette rencontre souligne l’engagement de la France à construire une vision internationale partagée avec l’Amérique du Sud sur la science ouverte.

L’Amérique latine, pionnière de l’accès ouvert

Et pour cause : comme bon nombre d’intervenants en convinrent, l’Amérique latine fait figure de pionnière dans le domaine. Arianna Becerril, professeure à l’Université autonome de l’État de Mexico au Mexique et directrice exécutive de Redalyc1 , réseau de référence en matière de science ouverte en Amérique latine, en Espagne et au Portugal, fait le bilan d’un quart de siècle de politiques publiques tournées vers la science ouverte. Dix-sept ans après son lancement, Redalyc dénombre près de 800 000 articles publiés en accès libre, 1600 revues hébergées, 750 institutions représentées originaires de 31 pays, auxquels il faut ajouter les presque 500 000 documents et 400 revues qu’offre SciELO2 , le pendant brésilien du mexicain Redalyc qui fête cette année son vingt-cinquième anniversaire. Aux yeux d’Arianna Becerril, ces deux outils témoignent de la « complète indépendance des pays sud-américains vis-à-vis des éditeurs commerciaux ». Mieux encore : forte de son ancienneté, « l’expérience latino-américaine peut aider au développement de modèles de science ouverte dans d’autres pays ».

En Europe, le développement de la science ouverte est plus tardif qu’en Amérique latine mais en pleine accélération. Depuis la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche en 2012 et le manifeste de Leiden en 2015, les convergences en matière de science ouverte se sont multipliées en Europe, jusqu’à la fondation de la Coalition for Advancing Research Assessment (CoARA) en décembre 2022, qui rassemble plusieurs centaines d’organisations internationales, parmi lesquelles le CNRS fut l’un des premiers signataires, pour établir collectivement une réforme systémique de l’évaluation de la recherche. Désormais, la CoARA vise au-delà du continent européen, comme l’y exhorte son représentant français, Fabien Borget : « Il faut que la CoARA s’internationalise, que les pays d’Amérique du Sud s’intéressent à ses travaux et que la synergie soit mondiale ». Marin Dacos, coordinateur national de la science ouverte au MESR, abonde dans le même sens. Pour lui, de même qu’en Amérique latine, la promotion de la science ouverte et l’harmonisation des règlementations en la matière doivent se faire de manière coordonnée au niveau supranational, car « nous ne pouvons pas faire de la science ouverte à la française isolés dans un bunker ». Comme Arianna Becerril et Fabien Bourget, il envisage la formation d’une « alliance intercontinentale sur la science ouverte ».

Mais, dès lors, avec qui s’allier et quels sont les obstacles pour que « la science ne soit pas accaparée par quelques pays », interroge Antoine Petit, président-directeur général du CNRS. Il ajoute également que « faire en sorte que la science soit accessible au plus grand nombre est un combat universel. Ne soyons pas naïfs et soyons vigilants : certains ne veulent pas de la science ouverte ». On peut s’en faire une idée en estimant la croissance exponentielle des frais de publication en accès ouvert (article processing charges, APC) pratiquées par les revues commerciales des plus gros éditeurs, comme l’a fait Sylvie Rousset, directrice des données ouvertes de la recherche (DDOR) au CNRS : « Si l’ensemble des publications scientifiques françaises basculait vers un système auteur-payeur avec le paiement d’APC, le montant global payé par la France représenterait près de 200 millions d’euros par an ». Marin Dacos comptabilise de son côté qu’un tel système appliqué aux 8 millions d’articles scientifiques produits chaque année sur la planète coûterait 16 milliards d’euros par an, à raison de 2000 € en moyenne d’APC par article, sans compter l’inflation et la hausse des tarifs. Sans être explicitement nommés, les grands groupes commerciaux comme Springer Nature, Elsevier ou encore Wiley sont sur toutes les lèvres. Mais également toutes les plateformes en open access natif qui ne pratiquent l’ouverture que lorsque les auteurs paient pour cela, tel que l’éditeur MDPI en tête, dont la progression au CNRS est spectaculaire et inquiétante.

Le modèle diamant au cœur des discussions

De tels coûts empêchent de fait nombre de chercheurs et chercheuses issus de pays moins bien dotés de diffuser leurs travaux auprès de la communauté scientifique internationale. Les pays africains sont particulièrement sensibles à la question des APC et, par conséquent, s’intéressent de plus en plus au modèle d’accès ouvert diamant3 latino-américain. Invité à parler de sa propre expérience en tant que professeur et directeur des éditions à l’université Cheikh Anta Diop à Dakar, Moussa Samba espère faire basculer l’ensemble des revues de son institution en accès ouvert diamant. Pour ce faire, il assure vouloir « aller vers le modèle latino-américain et bénéficier de l’expérience européenne dans ce domaine ». En quête d’alliés, les intervenants tournent leurs regards vers les pays du Sud, à l’instar de Johan Rooryck, représentant de la cOAlition S4 , qui rêve de « créer une fédération mondiale des modèles diamant, en s’appuyant sur Redalyc et SciELO, mais aussi sur les revues émergentes en Afrique, en Indonésie ou bien au Japon ».

Toutefois, comme tous les participants le reconnaissent, la multiplication et la coordination à l’échelle internationale des modèles diamant ne suffisent pas à elles seules. Pour que ces derniers supplantent les revues commerciales, il faut réformer l’évaluation de la recherche. En effet, l’attractivité des revues à fort facteur d’impact est telle qu’une majorité de scientifiques continuent à y écrire, et ce même si l’écosystème régional prône le modèle diamant. Fernanda Beigel, membre du Conseil national argentin de recherches scientifiques et techniques, révèle ainsi l’envers du décor du modèle sud-américain : « En Amérique latine, nous vivons dans un monde en édition diamant, mais beaucoup de collègues continuent à payer des APC en publiant dans des revues commerciales à l’étranger ». Arianna Becerril tempère son propre enthousiasme pour le modèle diamant, en constatant que « notre défi, en Amérique latine, est de soutenir un modèle mûr mais qui manque de reconnaissance, notamment dans les systèmes d’évaluation scientifique ». Pour mettre un terme à l’oligopole des multinationales de l’édition scientifique sur la diffusion d’articles, Africains, Américains et Européens s’accordent pour réformer l’évaluation des scientifiques au niveau mondial, de manière à ce que, comme le résume Serge Bauin, spécialiste des publications scientifiques à la DDOR, « ce sont les résultats eux-mêmes qui doivent être évalués et non pas le fait qu’ils aient pu être publiés dans une revue prestigieuse ».

Derrière ces questions de science ouverte, l’enjeu n’est rien de moins, pour reprendre les mots de Daniel Filmus, que « de partager les connaissances afin de poursuivre une croissance équitable ».

  • 1Redalyc est un système d'indexation qui intègre dans son index des revues de haute qualité scientifique et éditoriale, d’abord en Amérique latine et désormais dans le reste du monde.
  • 2SciELO (Scientific Electronic Library Online) est un programme visant à soutenir l'infrastructure de communication de la recherche en libre accès.
  • 3L’accès ouvert diamant renvoie à un modèle d’édition scientifique dans lequel les revues et des plateformes sont disponibles gratuitement pour les auteurs et les lecteurs.
  • 4Le Plan S est une initiative en faveur de la publication en libre accès qui a été lancée en septembre 2018. Le plan est soutenu par cOAlition S, un consortium international d'organismes de financement de la recherche et d'exécution. Le Plan S exige qu'à partir de 2021, les publications scientifiques qui résultent de recherches financées par des subventions publiques soient publiées dans des revues ou des plateformes Open Access conformes.