Lentille à plasma actif pour focaliser un fort faisceau d'électrons, ici avec de l'hydrogène (rose) et de l'argon (bleu). © Carl A. Lindstrøm, DESY FLASHForward, 2019

Un laboratoire international pour identifier la nature de la matière noire

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Trois centres de recherche allemands et le CNRS s’associent au sein du Dark Matter Lab, un International Research Laboratory dédié à la recherche sur cette mystérieuse substance qu’est la matière noire.

« L’une des plus grandes énigmes scientifiques qui restent ». C’est ainsi que Thomas Schörner le directeur allemand du Dark Matter Lab (ou DMLab), décrit ce à quoi vont s’attaquer les scientifiques français et allemands de ce nouvel International Research Laboratory (IRL), lancé en 2023 : la matière noire (voir encadré).

Bien qu’administrativement situé à Hambourg, le DMLab est distribué sur le territoire allemand. Il rassemble trois institutions de recherche parmi les plus importantes et prestigieuses en Allemagne : le Deutsches Elektronen-Synchrotron (Synchrotron allemand à électrons, DESY) à Hambourg qui sera le noyau central de l’IRL, le Gesellschaft für Schwerionenforschung mbH (Centre de recherche sur les ions lourds, GSI) à Darmstadt, et le Karlsruher Institut für Technologie (Institut de technologie de Karlsruhe, KIT) à Karlsruhe. Ces trois institutions font partie de l’Association Helmholtz des centres de recherche allemands, le plus grand organisme de recherche allemand1 . Côté français, cet IRL est un laboratoire de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS.

Expérience MadMax
L'expérience MadMax propose une nouvelle approche pour la recherche directe de la matière noire. © MadMax Collaboration

« Les discussions autour d’un rapprochement avec l’Association Helmholtz, interlocuteur naturel pour l’IN2P3, ont commencé dès 2017 et la formalisation en 2020 du concept d’IRL, ces unités mixtes avec un partenaire étranger2 , a permis leur concrétisation. », raconte Patrice Verdier3 , directeur de recherche CNRS à l’Institut de physique des deux infinis4 , qui a monté le projet de l’IRL quand il était directeur adjoint de l’IN2P3. « L’institut et ces centres ont des liens forts depuis de nombreuses années et un engagement commun dans des expériences internationales, au CERN5 , au Japon, à DESY, GSI et ailleurs. », confirme Dirk Zerwas, directeur de recherche CNRS à l’IJCLab6  et directeur France de l’IRL. Surtout, « les collaborations franco-allemandes sont déterminantes pour la réussite de certains projets », comme l’expérience MadMax de recherche directe de la matière noire, dans laquelle collaborent le Centre de physique des particules de Marseille7  (CPPM), DESY, le Max-Planck Institut for Physics (MPP) et d’autres laboratoires : l’expérience sera installée à DESY, le porte-parole est rattaché au MPP et le coordinateur technique de l’expérience au CPPM.

À la fois point de convergence des centres d’intérêt des partenaires et « thématique prometteuse dans le domaine », la matière noire a donc été choisie pour renforcer les collaborations bilatérales entre les deux pays. Avec un but : joindre les forces face à la compétition internationale. Le projet se construit ainsi sur la complémentarité des expertises et connaissances allemandes et françaises, selon Thomas Schörner, également chercheur au DESY : « en joignant nos forces, nous aurons un impact considérable ».

Le nouveau laboratoire se veut alors une « plateforme » pour « penser le futur de la recherche en physique des particules » et « stimuler le potentiel de découvertes ». Avec leurs savoir-faire, les ingénieurs et scientifiques des deux pays dessinent par exemple l’expérience Darwin, un détecteur au xénon liquide de plusieurs tonnes pour la détection directe de la matière noire : « L’apport des connaissances issues de l’institut KIT à celles des ingénieurs de Subatech et du LPNHE8  rend cette expérience plus ambitieuse. », analyse Dirk Zerwas.

Expérience Darwin
L’expérience Darwin sera un détecteur au xénon liquide de plusieurs tonnes pour la détection directe de la matière noire. © Marco Kraan (Nikhef) / DARWIN Collaboration 

Une quinzaine de projets ont ainsi déjà été identifiés (voir encadré). Des échanges de scientifiques sont prévus et un comité de pilotage a été mis en place, comprenant quatre représentants français et un représentant de chaque centre allemand, en plus des co-directeurs. « C’est un engagement long. », assurent ces derniers puisque les expériences dans le domaine durent régulièrement plusieurs dizaines d’années.

Grâce à la large internationalisation des projets, ces liens accrus avec les centres Helmholtz devraient aussi contribuer à renforcer les connexions avec de multiples partenaires, comme le MPP ou l’Université de Heidelberg. L’effet de levier de l’IRL permettra également d’appuyer les demandes de financements auprès des agences nationales de recherche française et allemande, de l'European Research Council (ERC) ou d’entreprises technologiques. Si le travail a déjà commencé, les deux directeurs se disent impatients d’entamer les collaborations officielles, entre autres avec une réunion générale en novembre.

  • 1Composée de 18 centres de recherches indépendants dans le domaine des sciences naturelles et techniques, de la biologie et médecine, la Helmholtz-Gemeinschaft Deutscher Forschungszentren compte plus que 43 000 employés et possède un budget annuel de plus de 5 milliards d'euros, soutenu à 90 % par un financement national.
  • 2Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 3Aujourd’hui délégué scientifique « Prospectives nationales » à l’IN2P3.
  • 4CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1.
  • 5L’Allemagne et la France font partie des membres fondateurs de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), aussi appelée Laboratoire européen pour la physique des particules.
  • 6Laboratoire de physique des 2 infinis - Irène Joliot-Curie (CNRS/Université Paris-Saclay).
  • 7CNRS/Aix-Marseille Université.
  • 8Laboratoire de physique subatomique et des technologies associées (Subatech, CNRS/Université de Nantes/IMT Atlantique) et Laboratoire physique nucléaire et hautes énergies (LPNHE, CNRS/Sorbonne Université).

La recherche de la matière noire au DMLab

Dans les galaxies et amas de galaxies, la matière visible ne suffit pas à rendre compte de la masse totale nécessaire pour expliquer les observations astronomiques. Il faut ajouter une matière « noire », invisible, interagissant très peu avec la matière ordinaire. Bien qu’elle représenterait 26 % de la densité d'énergie totale de l’Univers, cette matière noire reste aujourd’hui hypothétique et sa nature encore inconnue.

Pour la trouver et la comprendre, le DMLab s’organise en 6 axes dont un est la recherche directe. La recherche se fera ainsi avec les techniques de recherche directe de la matière noire, classiques comme les dispositifs successifs de la collaboration internationale XENON (XENON100, XENON1T et XENONnT) et le futur XLZD, et plus « exotiques » avec MadMax. Cette dernière propose une nouvelle approche, espérant détecter des axions, particules encore hypothétiques : « En allant plusieurs ordres de grandeur plus loin que des expériences similaires menées au CERN, MadMax a un énorme potentiel de découverte », détaille Patrice Verdier.

Des détecteurs d'ondes gravitationnelles ont mis en évidence des trous noirs massifs : le DMLab entend les étudier dans son axe « ondes gravitationnelles et astroparticules multi-messagers », en même temps que les neutrinos, particules dont certains types encore inobservés pourraient aussi constituer la matière noire. L’occasion pour les centres Helmholtz de prendre part à des expériences comme LIGO ou Virgo  sur la détection des ondes gravitationnelles, dont ils étaient jusque-là absents, et de collaborer avec le CNRS pour développer les technologies dans le cadre du projet Einstein Telescope.

Plasma
Lentille à plasma actif pour focaliser un fort faisceau d'électrons, ici avec de l'hydrogène (rose) et de l'argon (bleu). © Carl A. Lindstrøm, DESY FLASHForward, 2019

L’IRL souhaite également produire de la matière noire en laboratoire, afin de mieux l’étudier. Pour cela, les scientifiques veulent développer de nouveaux accélérateurs de particules basés sur des techniques inédites comme l’accélération plasma, capable de produire des champs électriques accélérateurs jusqu’à 1000 fois plus puissants que les accélérateurs d’aujourd’hui. En complément, le quatrième domaine du DMLab consistera à améliorer les détecteurs utilisés dans les expériences sur ces accélérateurs, tels que les détecteurs de traces et des calorimètres. L’informatique et la science des données, nécessaires aux quantités de données générées dans ces expériences ainsi qu’à leur compréhension, sont un autre domaine. Enfin, le domaine de la physique théorique permettra d’explorer « la matière noire au-delà des modèles classiques », en développant de nouvelles théories.