Entre Michelin et le CNRS, une belle histoire de recherche et de coopération

CNRS

Le CNRS et le groupe Michelin mènent depuis des années de fructueuses collaborations scientifiques. Celles-ci se matérialisent notamment par des laboratoires communs et un accord-cadre qui, signe de son succès, a été renouvelé cette année pour la seconde fois.

La science suit un long parcours lorsqu’elle souhaite voir passer des travaux fondamentaux à des applications industrielles. Différents moyens existent pour fluidifier cet effort, comme les collaborations entre la recherche publique et son pendant privé. Le CNRS et le groupe Michelin se sont ainsi associés pour fonder six laboratoires communs, aussi appelés labcoms, dont les thématiques sont principalement liées à la chimie, mais avec également des incursions dans la modélisation et les processus industriels.

« Michelin s’est progressivement ouvert à la recherche partenariale vers le milieu des années 90, avec une évolution significative depuis une dizaine d’années », souligne Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS. « Le groupe figure à présent en bonne place dans le top 10 des partenaires industriels du CNRS. »

Cette alliance est également matérialisée par environ quarante nouveaux contrats par an, notamment sous la forme de contrats de collaboration de recherche. Pourtant, le département recherche, développement et innovation de Michelin comporte six mille personnes, et est doté d’un budget annuel de 680 millions d’euros. Une telle force de frappe ne dispenserait-elle pas d’aller vers de telles collaborations ?

Un premier accord-cadre signé en 2012

« Notre philosophie ne consiste pas à externaliser notre recherche, mais à nous allier avec des scientifiques de pointe pour des travaux en amont »​ ​​​, précise Emmanuel Custodero, directeur scientifique de Michelin. « Une entreprise seule ne peut pas, quelle que soit sa taille, réunir toutes les compétences scientifiques en son sein. Pour cela, nous avons naturellement choisi de nous rapprocher du CNRS. »

Un premier accord-cadre a été signé en 2012, puis renouvelé en 2017 et à nouveau cette année. Ce contrat ne fixe pas des thématiques de recherche, mais décrit les modalités pratiques de la collaboration, comme les échanges d’informations, la question des brevets ou encore de la confidentialité. L’accord cadre couvre également la mise en place de laboratoires communs avec Michelin.

« L’accord-cadre facilite la mise en œuvre des partenariats et nous permet de nous concentrer sur la science », poursuit Emmanuel Custodero. « Tout va plus vite quand on sait d’avance quelles sont les obligations contractuelles. Le dernier labcom, signé avec le laboratoire de chimie ICGM1 , a ainsi été construit en six mois, là où il faut généralement un an et demi pour se mettre d’accord. Le CNRS se distingue par son professionnalisme, son efficacité et sa capacité à intégrer les spécificités des partenaires industriels. Ce n’est pas un hasard s’il est impliqué dans 60 % de nos partenariats académiques. »

Côtés chercheurs, le format labcom est plébiscité car il facilite le recrutement de personnels non permanents, tels que les doctorants et les postdoctorants, qui sont des rouages essentiels de la vie des laboratoires. Ce succès est notamment matérialisé par le fait que les labcoms avec Michelin sont régulièrement reconduits, généralement avec une augmentation des moyens et en intégrant de nouveaux partenaires.

Un mélange gagnant-gagnant des méthodes de travail du public et du privé

Le SiMatLab, qui étudie notamment la modélisation des matériaux polymères, réunissait par exemple à la base Michelin, l’UCA, le CNRS et l’ICCF2 . Lors de son renouvellement en octobre 2021, le CHU de Clermont-Ferrand, le Centre national d’évaluation de photoprotection (CNEP) et les sociétés Specific Polymers et CAIR LGL ont rejoint l’aventure.

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Le SiMatLab étudie notamment la modélisation des matériaux polymères. © SiMatLab

« Nous avons établi des méthodologies de simulation que Michelin utilise désormais en interne »​​​​​​​, explique Patrice Malfreyt, professeur à l’université Clermont Auvergne, membre de l’ICCF et co-directeur du SiMatLab. « D’un point de vue plus académique, nous avons beaucoup fait avancer le développement des simulations qui gèrent plusieurs échelles à la fois, ce qui est généralement très difficile. »

Dans le cadre d’une collaboration avec le CHU de Clermont, des simulations ont par exemple été menées sur l’absorption de médicaments sur des tubes de perfusion, qui peut conduire à ce que la dose prévue ne soit pas entièrement délivrée. Les simulations du SiMatLab aident à mieux prendre en compte ce phénomène à partir des interactions moléculaires. Avec le renouvellement de l’accord, le SiMatLab a également commencé à se pencher sur les piles à hydrogène, dont les performances dépendent en partie de la qualité de leurs membranes en polymères.

« Mon retour d’expérience sur les labcoms est très positif », affirme Patrice Malfreyt. « C’est un mélange gagnant-gagnant des méthodes de travail du public et du privé. Cette collaboration avec Michelin nous a permis de confronter nos démarches pour nous rapprocher des applications. Nos codes de simulation pourront d’ailleurs servir à de nombreux autres sujets. »

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Le ChemistLab est consacré à la synthèse d’élastomères performants, en particulier des copolymères d’éthylène et de butadiène. © CNRS Images/ChemistLab

À Villeurbanne et à Clermont-Ferrand, fief historique de Michelin, le ChemistLab réunit l’entreprise et les laboratoires CP2M3  et ICBMS4 . Ce labcom est consacré à la synthèse d’élastomères performants, en particulier des copolymères d’éthylène et de butadiène, deux molécules courantes dans l’industrie, mais qui cohabitent très difficilement au sein d’un même polymère. Or un tel matériau combinerait leurs propriétés exceptionnelles de résistance à l’usure.

« Mon laboratoire a plusieurs fois changé de nom entretemps, mais notre collaboration avec Michelin remonte à la fin des années 80 et s’est maintenue presque sans discontinuité depuis », explique Christophe Boisson, directeur de recherche au CP2M. « Au cours de cette aventure scientifique et humaine, nous avons découvert une nouvelle classe d’élastomères, les EBR5 . »

Michelin explore à présent les procédés pour produire ces copolymères à grande échelle et pour en tester les propriétés dans des pneumatiques. Le ChemistLab mène aussi des travaux sur tout le cycle de vie des élastomères. Il s’agit par exemple d’utiliser des catalyseurs plus verts pendant leur synthèse, de favoriser les matières premières biosourcées et de synthétiser des élastomères recyclables.

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Le CNRS et le groupe Michelin se sont ainsi associés pour fonder six laboratoires communs, aussi appelés labcoms. © CNRS Images/ChemistLab

Toujours à Clermont-Ferrand, le FactoLab réunit depuis 2017 Michelin et les membres du laboratoire d’excellence (LabEx) IMobS36  : l’Institut Pascal7 , le LIMOS8 , le LAPSCO9 , le LMBP10  et Acté11 . Les chercheurs y travaillent sur l’usine du futur, avec des méthodes qui ont vocation à intégrer les procédés industriels de Michelin. Pour cela, le FactoLab bénéficie des expertises variées des cinq laboratoires de l’IMobS, dont les compétences vont de la robotique à l’ergonomie et à la psychologie cognitive. FactoLab a récemment été renouvelé jusqu’en 2024.

« Dans la mise en œuvre de la gomme et du caoutchouc, qui est le cœur de métier de Michelin, de nombreux procédés ne sont pas robotisables », décrit Michel Dhome, directeur de recherche à l’Institut Pascal. « ​​​​​​​Avec le développement massif du numérique et de la science des données, nous voulons accompagner les opérateurs pour réduire les tâches répétitives et fatigantes. Ainsi, ils pourront focaliser leur savoir-faire sur des missions à plus haute valeur ajoutée. »

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Au FactoLab, les chercheurs travaillent sur l’usine du futur. © FactoLab

« Des étapes qui nous prenaient un à deux ans peuvent être franchies en trois ou quatre mois »

FactoLab a notamment permis d’équiper certains agents Michelin de montres connectées qui, en vibrant et en affichant un code d’erreur, ont permis de supprimer la surveillance d’alarmes lumineuses et le déplacement vers un écran afin d’identifier le problème. Après avoir mis ce système en place, les chercheurs ont prouvé qu’il réduisait bien la charge mentale des opérateurs. Un robot collaboratif et un préhenseur particulier ont également été développés pour retourner automatiquement, au plus près des opérateurs et en toute sécurité, de lourdes bandes de caoutchouc lors de leur inspection visuelle.

« Le système de labcoms fonctionne très bien, d’autant que nous avons en face des gens qui ont aussi un doctorat »​​​​​​​, affirme Michel Dhome. « ​​​​​​​Il facilite le passage de la preuve de concept à de vrais démonstrateurs, puis à un procédé utilisé par l’industrie. Des étapes qui nous prenaient un à deux ans peuvent maintenant être franchies en trois ou quatre mois. »

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Le systèmeème des jabcoms facilite le passage de la preuve de concept à de vrais démonstrateurs, puis à un procédé utilisé par l’industrie. © FactoLab

Les labcoms sont également plébiscités pour leur capacité à servir de leviers financiers pour participer à de projets européens ou internationaux, notamment ceux de la Commission européenne comme Horizon Europe. De plus, les personnels non permanents recrutés par les labcoms ont, après la fin de leur contrat, de meilleures chances d’intégrer de façon plus pérenne des laboratoires publics ou d’entrer chez Michelin.

Tous ces éléments montrent le succès de la collaboration, dont les liens ne cessent de se renforcer. « Nous échangeons très régulièrement avec les représentants du groupe », conclut Jean-Luc Moullet. « Au-delà de ces échanges opérationnels, le groupe Michelin est aussi un partenaire fidèle du club Europe, mis en place par la direction des relations avec les entreprises du CNRS, ses représentants du groupe sont aussi impliqués dans notre comité de sélection des projets en prématuration, et nous avons établi une collaboration dans le domaine de la veille des brevets. C’est une fertilisation croisée et constante. Nous sommes honorés de l’intérêt qu’un grand groupe international comme Michelin porte aux travaux des laboratoires sous tutelle du CNRS, ce qui atteste aussi de la qualité de la recherche développée au sein de ces laboratoires. C’est aussi une manière de valoriser et de transférer nos résultats de recherche et de contribuer ainsi au développement économique et à l’emploi dans le pays. »

  • 1Institut Charles Gerhardt Montpellier (CNRS/École nationale supérieure de chimie de Montpellier/Université de Montpellier).
  • 2Institut de chimie de Clermont-Ferrand (CNRS/Université Clermont Auvergne).
  • 3Catalyse, polymérisation, procédés et matériaux (CNRS/CPE Lyon/Université Claude Bernard).
  • 4Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (CNRS/Université Claude Bernard/CPE Lyon/INSA Lyon).
  • 5Ethylene butadiene rubber.
  • 6Innovative mobility: smart and sustainable solutions.
  • 7CNRS/Université Clermont Auvergne.
  • 8Laboratoire d’informatique de modélisation et d’optimisation des systèmes (CNRS/École des Mines de Saint-Étienne/Université Clermont Auvergne).
  • 9Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (CNRS/Université Clermont Auvergne).
  • 10Laboratoire de mathématiques Blaise Pascal (CNRS/Université Clermont Auvergne).
  • 11Activité, connaissance, transmission, éducation (Université Clermont Auvergne).