Dirigée par P. Wagnon, glaciologue IGE IRD et guide de haute montagne, une équipe de scientifiques français, népalais, belge et hollandais réalise des mesures sur des glaciaires dans le massif de l'Everest, pour suivre leur évolution sur le long terme. © Thibaut VERGOZ / IGE / LGP / PRESHINE / IRD / CNRS Photothèque

L'IRD et le CNRS : des liens forts

CNRS

Le renouvellement en janvier de l'accord-cadre qui lie l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le CNRS rappelle l'importance et le dynamisme des projets communs aux deux institutions.

« Nos deux institutions ont avant tout l’ambition de faire avancer les connaissances avec une recherche pluridisciplinaire d’excellence pour aborder les enjeux globaux d’aujourd’hui et de demain », affirme Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, suite à la signature d’un nouvel accord-cadre entre le CNRS et l’IRD, rappelant la longue histoire des deux partenaires.

Statistiques

Créé en 1944, l'Office de la recherche scientifique coloniale (ORSC) devient l’Institut de recherche pour le développement (IRD1 ) en 1998. Les liens avec le CNRS, créé de son côté en 1939, sont presque immédiats. « Leur projection au Sud nous permettait déjà de travailler ensemble sur des terrains qui apportent des réponses à des questions fondamentales, mais qui sont difficiles d’accès sans l’expertise de terrain et les réseaux de l’IRD », témoigne Alain Schuhl.

Des liens historiques

Lorsque l’IRD adopte son sigle définitif, « moment de rapprochement important » selon les deux organismes, se forment des unités mixtes de recherche (UMR) autour de projets scientifiques communs. Depuis, les collaborations sont nombreuses et évoluent avec les deux institutions. Au service du développement, en particulier durable, l’IRD « co-construit et co-valorise » aujourd’hui ses projets de recherche avec 38 pays des zones intertropicale et méditerranéenne, notamment en Afrique et « avec une attention particulière aux territoires d’Outre-mer », explique Valérie Verdier, sa présidente-directrice générale. L’institut mène « une recherche d’excellence basée sur des valeurs éthiques importantes et une confiance mutuelle, avec des partenariats qui se veulent respectueux et équilibrés entre les Nord et les Sud, au bénéfice des pays et territoires qui font de la science et de l’innovation des leviers de leur développement ».

Des valeurs auxquelles le CNRS adhère, lui qui est cotutelle de près des deux tiers des 78 unités de l’IRD2 . Depuis 2011, le CNRS et l’IRD possèdent aussi un Bureau de représentation en Afrique du Sud3  qui accompagne les scientifiques africains et français dans la structuration de leurs collaborations et l’élaboration des stratégies de coopération à long terme. Dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, un événement co-porté par le CNRS et l’IRD pour « imaginer un nouveau partenariat scientifique euro‐africain » sera également organisé en juin prochain à Bruxelles. « Parler d’une seule voix et avec les mêmes valeurs sur nos sujets aide aussi à donner aux partenaires du Sud une vision simplifiée et unifiée du paysage complexe de la recherche française », atteste Valérie Verdier pour qui l’IRD souhaite transmettre ses « savoir-faire et savoir-être », acquis sur la base de sa présence historique et de ses années de co-construction avec les partenaires et réseaux locaux, avec d’autres partenaires comme le CNRS.

  • 1Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), l’Institut de recherche pour le développement est placé sous la double tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et de celui de l’Europe et des Affaires étrangères.
  • 2Auxquels s’ajoutent 42 Laboratoires mixtes internationaux, codirigés par des équipes d’institutions de recherche et d’enseignement supérieur des pays en développement et d’une ou plusieurs unités mixtes de recherche affiliées à l’IRD.
  • 3Partagé également avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) depuis 2015.

Des liens au-delà des unités mixtes

Rizières au Brésil
© Marie Mirouze

Chercheuse à l’IRD, Marie Mirouze travaille au Laboratoire génome et développement des plantes dont les tutelles sont le CNRS et l’Université de Perpignan Via Domitia, mais dans une équipe récemment labellisée par l’IRD. Celle-ci s’intéresse à la dynamique des génomes d’espèces végétales, c’est-à-dire à la grande diversité génétique que l’on peut mesurer au sein même d’une espèce, liée aux mutations génétiques et aux abondants « éléments transposables » capables de sauter d’un endroit à un autre dans le génome. Par exemple, l’équipe a identifié l’ensemble des sites d’insertion possibles de ces éléments transposables dans 3000 génomes de riz cultivés en Afrique et Asie, et a découvert que chaque variété de riz dispose de son propre répertoire de sites, donc de ressources génomiques distinctes pour s’adapter à des changements dans son environnement. La chercheuse met également en place des enseignements de bio-informatique à distance avec le Mali et le Sénégal, en profitant de la « visibilité » et des « portes institutionnelles » ouvertes par la labellisation de l’équipe et plus largement l’accord-cadre : « nous avons aujourd’hui les savoirs et les moyens technologiques pour sortir davantage des laboratoires et aller sur le terrain. La synergie entre le CNRS et l’IRD prend tout son sens dans ces actions. », prône-t-elle.

L’accord-cadre renouvelé permet donc de fixer les priorités partagées et une stratégie pour avancer de manière coordonnée et complémentaire, grâce aux dispositifs spécifiques à chaque établissement et « sans doublonner », tout en précisant les règles de gestion des unités mixtes et de mobilité des scientifiques. Il concerne en particulier quatre instituts du CNRS.

Des sujets et outils, mais aussi des valeurs et cultures partagées

« Nous avons des thématiques et des zones d’intérêts en commun, depuis la Terre solide jusqu'aux interfaces fluides (océans et atmosphère) et surface », détaille Nicolas Arnaud, directeur de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS (Insu) dont près d’un quart des unités sont en cotutelle avec ce partenaire. « Au-delà, nous cultivons tous deux une culture de l’observation sur le long terme – sur des milliers voire millions d’années – pour caractériser les variations de la planète » : risques sismiques et volcaniques, histoire de la Terre, dynamique de l’océan et couplage au climat, caractérisation des variations climatiques à travers l’archive paléoclimatique océanique et continentale, etc. font donc partie des champs disciplinaires partagés.

L’IRD est aussi un partenaire très engagé des Observatoires des sciences de l’Univers (OSU) du CNRS, structures gérées par l’Insu dont la mission première consiste à maintenir des séries d’observations sur le temps long sur de grandes variables géophysiques, géochimiques et biologiques du milieu naturel (température, quantité de gaz à effet de serre, etc.) pour en qualifier la variation. Ils rassemblent tous les laboratoires (de toute tutelle) du champ des sciences de la planète et de l’environnement sur un site donné. Y sont mutualisées, notamment avec l’IRD, des plateformes et des infrastructures de recherche comme le projet OZCAR4  dédié à l’observation et à l’étude de la zone critique – pellicule la plus externe de la Terre, siège de la vie et de l’habitat de l’espèce humaine – par une caractérisation à long terme des ressources en eau et en sol. OZCAR regroupe ainsi plus de 60 sites en France, dans les territoires d’outre-mer et dans 18 pays en Afrique du Nord et de l’Ouest, Asie du Sud-Est, Inde, Amazonie, aux pôles, etc.

  • 4CNRS/IRD/Inrae/BRGM/AllEnvi/Mesri/France Universités.

Des relations co-construites au Nord comme au Sud

« Particulièrement colorée » par la présence de l’IRD et du Cirad, la MSH Sud de Montpellier, seule MSH dont le CNRS et l’IRD sont cotutelles1 , vise à « construire un espace d'amorçage et d'incubation de la recherche interdisciplinaire et collaborative », en particulier en créant des passerelles entre des disciplines ne partageant pas les mêmes épistémologies, objets et méthodes, décrit Julien Mary, ingénieur de recherche au CNRS et référent scientifique de la Maison des sciences de l’Homme pour des sciences et une société unies pour un autre développement (Sud). La MSH fait ainsi valoir une « forte volonté » d’élaborer une co-construction « pleine et valorisante » à tous les niveaux, au Nord comme au Sud, « à l’interface entre recherche fondamentale et recherche-action participative ». Par exemple, le projet Makay Mada, co-porté par le CNRS et l’IRD, vise à comprendre comment les communautés d’éleveurs qui vivent aux alentours du massif du Makay à Madagascar vivent et interagissent avec la nature (forêts et savanes). Pour ces recherches en lien avec les objectifs du développement durable, il associe des laboratoires français et suisses ainsi qu’une université et des associations malgaches.

  • 1Le CNRS, l’Université de Montpellier (EPE) et l'Université Paul Valery Montpellier sont tutelles principales. L’IRD et le Cirad sont tutelles secondaires.

L’IRD et le CNRS se retrouvent également au sein d’alliances de recherche, comme l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan5 ) dont André Le Bivic, directeur de l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS, est vice-président. Les deux instituts collaborent en particulier en santé et immunologie – par exemple sur le paludisme ou Ebola en Afrique, mais aussi des infections parasitaires d’animaux ou d’humains, comme les champignons des mulots en Europe –, ou encore en biologie végétale. « Outre son expertise scientifique partagée avec nos biologistes pour la compréhension des différents organismes à l’origine des problèmes de santé dans les pays où ceux-ci sont prégnants, l’IRD apporte son approche terrain et sa connaissance des acteurs locaux. », résume le directeur.

Quatre instituts du CNRS concernés

Les deux institutions sont aussi convaincues du rôle central d’une science engagée pour répondre aux Objectifs du développement durable (ODD). Comme les six défis sociétaux mis en avant par le CNRS dans son Contrat d’objectifs et de performance (COP) signé avec l’État, les axes de recherche de l’IRD s’organisent en 9 grands défis interdisciplinaires dont le climat, la biodiversité ou encore le concept d’une seule santé, « une ligne de conduite pour les années à venir qui devrait nous permettre de progresser sur l’atteinte des ODD » selon Valérie Verdier.

La description et l’analyse des changements globaux et environnementaux sont aussi appréhendés sous l’angle économique, social, culturel, politique et juridique. « Il existe un intérêt commun à déployer un maillage de recherches – sous forme de collaborations, laboratoires, réseaux – avec les pays du continent africain et à mettre en avant, dans ce contexte, des orientations clé de nos organismes, telle que la science ouverte. », indique Marie Gaille, directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS (INSHS). Les compétences scientifiques et les outils de recherche des deux institutions permettent ainsi de mener des recherches notamment sur les politiques publiques, les questions économiques, les conditions de la résilience d’agrosystèmes face aux crises environnementales, les formes de la migration contemporaine, les transformations sociales liées à ces mouvements de population, etc.

La science de la durabilité au cœur de l’accord-cadre

Récemment, l’IRD a mis en avant une approche singulière de la science de la durabilité, une nouvelle démarche qui porte sur les interactions entre les systèmes naturels, sociaux et techniques, un enjeu que le CNRS prend autant à bras le corps. « C’est un cadre de référence scientifique interdisciplinaire et multi-acteurs qui doit nous aider à orienter nos décisions en conjuguant les différents enjeux de préservation des écosystèmes, de durabilité des activités humaines et du développement des sociétés. L’IRD et le CNRS travaillent de concert sur ce sujet », confirme Alain Schuhl. En particulier, un appel à projets a déjà été lancé par les deux partenaires via la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS et Future Earth. Ils ont aussi obtenu que l’Agence nationale de la recherche dédie un axe à ce sujet dans son appel générique 2022. Une rencontre-débat co-organisée aura lieu sur le sujet à Marseille les 11 et 12 mai prochains.

  • 5Aviesan regroupe le CEA, les CHU, le CNRS, France Universités, l’Inrae, Inria, l’Inserm, l’Institut Pasteur, l’IRD, l’ARIIS, le CDEFI, le Cirad, l’EFS, la Fondation Mérieux, l’Ineris, l’Institut Curie, l’Institut Mines-Télécom, l’IRBA, l’IRSN et Unicancer.

Une collaboration jusqu’au fond de la mer

Sismomètre posé au fond de la mer
© Pascal Bernard/IPGP/ESEO

Dans le cadre du projet européen PREST1 , le physicien Pascal Bernard gère l’installation d’un observatoire optique sous-marin au large de la Guadeloupe. Le but : surveiller en temps réel cette zone sismique peu connue grâce à des sismomètres optiques innovants développés par l’ESEO, des prototypes qui pourraient être utilisés à terme dans d’autres zones. Pour cela, Pascal Bernard a fait appel à l’expertise de l’ingénieur IRD Yann Hello (au sein du laboratoire GéoAzur2 ) qui a développé une charrue sous-marine capable de dérouler et d’enfouir un câble optique dans le fond marin. En mai prochain, deux autres appareils optiques développés par l’ingénieur CNRS Frédérick Boudin (au sein du Laboratoire de géologie de l'ENS3 ) doivent être ajoutés au même endroit, afin de disposer d’une surveillance des mouvements lents précurseurs de séismes et de tsunamis. « Les Antilles françaises et la Guadeloupe sont les deux départements les plus touchés par les risques sismiques en France. Mettre en commun toutes nos compétences permet de mesurer les petits séismes sur le long terme pour mieux définir les risques et adapter les normes parasismiques dans ces îles. », rappelle le chercheur pour qui un accord-cadre facilite ce type de partenariats et la mobilité des scientifiques.

  • 1Plateforme régionale de surveillance tellurique, coordonné par l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et dont l’IRD et le CNRS sont partenaires parmi d’autres institutions françaises et étrangères.
  • 2CNRS/IRD/Observatoire de la Côte d’Azur.
  • 3CNRS/ENS.

Au-delà de la science de la durabilité, « nous nous retrouvons également sur des questions comme la biodiversité marine ou l’écologie de la santé, en Afrique, en Guyane ou à la Réunion », précise Stéphane Blanc, directeur de l’Institut écologie et environnement du CNRS (Inee) qui fait partie du conseil d’administration de l’IRD au nom du CNRS. Des recherches conjointes ont ainsi été menées sur le Covid-19, par exemple sur le suivi de la propagation des variants ou l’efficacité des vaccins.

Les deux institutions préparent aussi plusieurs Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoires, dont l’un est dédié à la science de la durabilité et sera « le parachèvement d’une décennie de développement de nos outils sur ces questions », souligne Stéphane Blanc. Un autre, coporté également par l’Ifremer6 , cible la réserve naturelle créée au large du Mozambique autour des îles éparses pour étudier la manière dont une zone de protection influence les relations entre populations animales et humaines face aux dérèglements climatiques. Il traite de questions de sécurité alimentaire, de conservation et de géopolitique. Ces PEPR permettront notamment des appels à projet communs. « Avec ces programmes, notre riche partenariat devrait perdurer au même niveau au moins pendant les dix prochaines années », assure le directeur de l’Inee.

  • 6Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).