La France parie sur la science pour sauver l’océan

Institutionnel

Alors que les richesses des grands fonds marins attirent toutes les convoitises, des flottes fantômes sèment le trouble en tentant d’endommager des infrastructures sous-marines, et les températures océaniques atteignent des niveaux record. Ces événements rappellent que l’océan est au cœur d’enjeux géopolitiques brûlants. Face à ces pressions croissantes, la science se mobilise pour guider l’action politique.

À la fois régulateur du climat, refuge pour la biodiversité et ressource essentielle pour des millions de personnes, l’océan fait aujourd’hui face à des pressions croissantes. Parmi elles : surpêche ; pollution plastique (les êtres humains produisent environ 350 millions de tonnes de déchets plastiques par an, un chiffre qui pourrait presque tripler d’ici 2060) ; exploitation des grands fonds et acidification. Les décideurs, en France comme ailleurs, doivent réinventer leurs stratégies pour préserver cet écosystème crucial tout en anticipant les mutations futures.

Avec 10,9 millions de kilomètres carrés, la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) maritime mondiale. « C’est une responsabilité immense qui nécessite une mobilisation inédite de la science et de la politique pour préserver les écosystèmes marins », souligne Guillaume Bordry, conseiller au Secrétariat Général pour l’Investissement (SGPI). France 2030, lancé en 2021, est un plan d’investissement de 54 milliards d’euros ayant pour objectif de permettre à la France de rattraper son retard industriel, d’investir massivement dans les nouvelles technologies et de financer la transition écologique. Il incarne en ce sens une forte ambition française mêlant recherche, innovation et action politique.

Dans cette dynamique, le CNRS joue un rôle clé en transformant les découvertes scientifiques en outils d’action politique. « Grâce à son expertise pluridisciplinaire, il propose une approche intégrée des enjeux océaniques », ajoute Guillaume Bordry. En tant que copilote de plusieurs programmes nationaux de recherche structurants, le CNRS s’impose comme un trait d’union essentiel entre science et décision. « Ce qui est vraiment unique au CNRS, c’est que l’on ne se concentre pas uniquement sur un domaine spécifique de la science. Tous les champs scientifiques sont couverts par le CNRS, ce qui nous donne une perspective très large pour aborder des problèmes vastes et complexes, souligne Joachim Claudet, conseiller Océan au CNRS. C'est un peu comme pouvoir observer un objet sous plusieurs prismes et utiliser cette vision combinée plus globale pour comprendre des processus comme les systèmes socio-écologiques ».

Aujourd’hui, le CNRS copilote quatre programmes nationaux de recherche du plan France 2030 en lien direct avec l’océan : BRIDGES1 dédié à la gestion durable des ressources marines dans le sud-ouest de l’océan Indien Océan et Climat2 , sur la préservation de l’océan au sens large Grands fonds marins3 , sur la thématique du même nom ; et ATLASea4 , qui vise à séquencer le génome d’espèces marines pour mieux protéger les formes du vivant.

La résilience socio-écologique : une réponse adaptée aux défis océaniques

Les océans ont absorbé environ 90 % de l’excès de chaleur généré par les émissions de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle. Cette absorption massive affecte les écosystèmes marins et leur capacité de résilience. Les interactions entre ces écosystèmes et les activités humaines (comme la pêche, la pollution ou l’urbanisation côtière) amplifient ces perturbations et peuvent compromettre la capacité des océans à maintenir leurs fonctions régulatrices face au changement climatique. 

  • 1Piloté par le CNRS, l Ifremer et l’IRD
  • 2Piloté par le CNRS et l Ifremer
  • 3Piloté par le CNRS, l Ifremer et l’IRD
  • 4Piloté par le CNRS et le CEA

Programme de recherche BRIDGES - Pêche et biodiversité dans l'océan Indien

Bridges vise à changer de paradigme pour la gouvernance des communs afin de réduire la vulnérabilité environnementale et les risques de conflits dans les zones côtières.

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Cette situation met en lumière ce que les chercheurs appellent la résilience socio-écologique, un concept central aux programmes nationaux de recherche BRIDGES et Océan et Climat. Il s’agit de la capacité d’un système combinant environnement naturel et sociétés humaines à s’adapter et à se transformer face aux changements, tout en maintenant ses fonctions essentielles. « En apparence, deux problèmes peuvent sembler similaires, mais une solution qui fonctionne dans un système socio-écologique donné, par définition un système complexe, ne peut pas être simplement répliquée ailleurs. Les contextes locaux dictent les approches à adopter pour soutenir cette résilience », souligne Joachim Claudet1 , également directeur de BRIDGES pour le CNRS.

Les chercheurs identifient donc des leviers d’action spécifiques à chaque terrain. Cela implique une analyse fine des écosystèmes locaux, mais aussi une intégration des dynamiques sociales, économiques et culturelles. Pour cela, ces programmes adoptent une approche pluridisciplinaire basée sur la co-construction avec les parties prenantes locales.

Co-construire pour des solutions durables

Les programmes comme BRIDGES et Océan et Climat se mettent au service des parties prenantes. « Nous ne sommes pas là pour imposer des solutions, mais pour répondre à des besoins concrets. La co-construction favorise et accélère justement le transfert de solutions durables vers la société », explique Bruno Blanke2 , pilote du programme Océan et Climat pour le CNRS. Cette approche de co-construction rassemble ainsi des scientifiques, des décideurs publics (du maire au ministre), des ONG, différents acteurs territoriaux et les communautés locales autour d’un problème commun. Par exemple : la gestion des phénomènes extrêmes liés au changement climatique en outre-mer, les enjeux socio-économiques en lien avec l’érosion des côtes, etc.

Mais quelles solutions proposer ? Il s’agit généralement d’outils d’aide à la décision, tels que des modèles ou des scénarios. « Nous voulons développer des plateformes simples, que les acteurs pourront facilement s’approprier, où il est possible de modéliser l’imbrication des relations homme-environnement, comme pêcheur-poisson par exemple. Et montrer leurs évolutions en fonction de différentes options de gouvernance, de gestion et de prise de décision », explique Joachim Claudet. Autre type de solution : les indicateurs ou les systèmes d’alerte. Ces informations sont par exemple envisagées pour prévenir les autorités en cas de vague de chaleur marine en Nouvelle-Calédonie, ou bien pour cartographier des zones vulnérables au changement climatique en France métropolitaine.

Un dialogue science-politique essentiel

Transformer la recherche en actions concrètes nécessite également un dialogue constant entre scientifiques et décideurs. Les programmes nationaux favorisent ces échanges via des comités consultatifs, des synthèses, des livres blancs et des ateliers collaboratifs, qui traduisent les résultats en recommandations pratiques. « Le rôle du CNRS est de garantir que les décideurs disposent d’une base scientifique solide pour agir, tout en préservant l’indépendance de la recherche. C’est ensuite aux ministères qui suivent nos programmes de synthétiser et d’unifier nos messages », souligne Bruno Blanke.

  • 1Directeur de recherche CNRS spécialisé en conservation et durabilité des systèmes socio-écologiques côtiers et marins au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (CNRS/EPHE-PSL/Université de Perpignan Via Domitia).
  • 2Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d océanographie physique et spatiale (CNRS/Ifremer/IRD/Université de Bretagne occidentale).

Simuler l'océan, un modèle à suivre ! - Bande-annonce

La série "Simuler l'océan, un modèle à suivre !", initiée par le PPR Océan-Climat, nous embarque dans une exploration en cinq épisodes aux côtés de scientifiques qui modélisent les océans pour mieux anticiper leur évolution… et la nôtre ! Comment ces simulations sont-elles réalisées ? Quels défis doivent-elles relever ? Peuvent-elles vraiment prédire l’avenir ? Toutes les réponses bientôt sur L'Esprit Sorcier TV !

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Les différents comités jouent notamment un rôle central dans l’orientation des programmes dès leur lancement. Ainsi, le programme Grands fonds marins, lancé en septembre 2024, prépare déjà un forum des parties prenantes réunissant des acteurs politiques, économiques, territoriaux, académiques et associatifs. « Ce forum fera dialoguer la recherche avec les besoins législatifs et sociétaux, notamment face aux pressions subies par les grands fonds marins comme le changement climatique et les enjeux critiques comme l’exploitation minière de ressources minérales marines. C’est d’autant plus important que les grands fonds marins sont parmi les écosystèmes les moins explorés de notre planète », explique Valérie Chavagnac1 , directrice du programme pour le CNRSNous en savons d’ailleurs davantage sur la surface de Mars que sur le fond des océans ! Les scientifiques ont notamment cartographié presque tous les cratères martiens, contre environ 20 % de nos grands fonds. « Cette connaissance globale nous permettra de proposer de nouveaux indicateurs et donc d’améliorer nos outils de gestion », ajoute-t-elle.

Des bénéfices au-delà des sphères publiques

Ces programmes s’inscrivent également dans un cadre plus large touchant aussi les secteurs privés. Le programme ATLASea en est un bon exemple. Il vise à séquencer le génome de 4 500 espèces marines de la ZEE française pour comprendre, étudier et mieux protéger les formes du vivant dans toute leur diversité.

  • 1Directrice de recherche CNRS au laboratoire Géosciences environnement Toulouse (CNES/CNRS/IRD/Université Toulouse III Paul Sabatier)

De nombreuses espèces produisent naturellement des molécules d’intérêt qui sont déjà utilisées en biologie médicale. Mais les génomes des espèces marines regorgent plus largement de voies de synthèse de protéines ou d’enzymes qui pourraient être valorisées par d’autres secteurs économiques français. « L’agriculture est par exemple en quête de solutions biosourcées issues de micro-algues pour remplacer les produits phytosanitaires issus de l’industrie pétrolière. Cependant, les solutions existantes restent rares, coûteuses et polluantes. Les génomes séquencés dans ATLASea vont nous aider à mieux comprendre comment des algues fabriquent par exemple leurs enzymes afin de reproduire cette synthèse en laboratoire de manière plus rapide, fiable et durable », illustre Hugues Roest Crollius1 , directeur d’ATLASea pour le CNRS.

Afin de se rapprocher des besoins des utilisateurs, les chercheurs d’ATLASea interagissent avec des pôles de compétitivité qui fédèrent des acteurs de tous les secteurs. « Beaucoup d’entreprises qui pourraient bénéficier de l’information génomique des espèces avec lesquelles elles travaillent se retrouvent démunies quant à la réalisation d’analyses génomiques. Grâce aux pôles de compétitivité, nous allons pouvoir séquencer des espèces d’intérêt pour elles et les former sur ces pratiques pour soutenir leur compétitivité », ajoute Hugues Roest Crollius.

  • 1Directeur de recherche à l Institut de biologie de l École normale supérieure (CNRS/ENS/Inserm)

Les pêcheurs d'ADN

À Dinard en Bretagne, une mission scientifique donne le top départ d'un ambitieux programme de recherche intitulé ATLASea. Il a pour but de séquencer le génome de 4 500 espèces marines. Grâce à cela, les scientifiques pourront relier les espèces les unes aux autres, comprendre leur adaptation au changement climatique et synthétiser de nouvelles molécules.

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Le CNRS : un acteur structurant de la recherche océanique

L’océan a encore beaucoup à nous offrir, surtout si nous veillons à en prendre soin. Avec l’Ifremer, l’IRD, le CEA et plusieurs universités, le CNRS participe aux consortiums d’un grand nombre de programmes nationaux de recherche en lien avec les océans. La variété des disciplines qu’il couvre lui permet de croiser les regards disciplinaires sur cet objet complexe et d’embarquer l’ensemble des communautés scientifiques concernées. « C’est une manière de dépasser les silos disciplinaires ou les frontières de ses instituts qui doit permettre une meilleure coordination des acteurs de la recherche pour les rendre plus à même de répondre aux grands défis scientifiques posés par les océans et les grands fonds marins », conclut Aida Urien, conseillère innovation au SGPI. La science reste un levier incontournable pour guider les politiques publiques et les initiatives privées vers un avenir où l’océan demeure un bien commun préservé. Cela est d’autant plus prégnant que les conséquences d’un océan malade se feront ressentir jusque sur la terre ferme.