Le CNRS calcule son deuxième bilan carbone
Suite au premier exercice du bilan carbone sur l’année 2019, le CNRS livre son deuxième bilan carbone, celui de 2022. Plus précis qu’en 2019, il permet de mesurer les premiers succès de son plan de transition bas carbone mais aussi les biais méthodologiques à rectifier pour valoriser les progrès des achats durables.
Trois ans après son premier bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES) et le lancement, en 2019, de son plan de transition bas carbone, le CNRS réitère l’exercice – en élargissant le périmètre considéré – pour l’année 2022. Au total, les émissions des activités du CNRS s’élèvent à 14.7 tonnes de CO² équivalent par agent, quand, en 2019, elles culminaient à près de 14 tonnes. Cette hausse s’explique en grande partie par l’agrandissement du périmètre étudié. Pour son nouveau BEGES, le CNRS a en effet pris en compte des sources d’émission qui n’avaient pas pu être évalués lors du premier BEGES, notamment le mobilier, les frais liés au transports ou encore les matériels de transports.
Les achats représentent 85 % du BEGES
À périmètre égal à 2019, on observe une hausse de 3 % des émissions carbone entre 2019 et 2022, en raison notamment de l’augmentation des achats dits « non-immobilisés », entre autres les consommables et instruments de laboratoire. Ces achats dépendent en grande partie des nombreux succès des scientifiques du CNRS aux appels à projets, nationaux comme européens, qui conditionnent souvent l’accomplissement du projet scientifique à l’achat de matériel neuf. Au total, les achats, immobilisés (équipements scientifiques) comme non-immobilisés, comptent, avec plus de 415 000 tonnes équivalent CO², pour 85 % des émissions carbone de l’organisme. Si ce résultat renforce nettement le constat de 2019 sur le poids des achats dans le bilan du CNRS, il faut souligner les limites du mode de calcul actuel des émissions liées aux achats basé sur des ratios monétaires.
Faute de quantités physiques des achats réalisés, cette méthode s’appuie sur le volume monétaire d’achats. Le module « Achats » de l’outil GES 1Point5, développé par le groupement de recherche du même nom, a permis d’associer à chaque code NACRE1 un facteur d’émission en prenant en compte, lorsque cela était possible, la spécificité des achats scientifiques. Le CNRS a fait le choix de l’utiliser face à l’absence de données quantitatives exploitables à ce jour. Si la méthode a le mérite d’estimer les émissions de gaz à effet de serre d’un laboratoire en fonction de ses dépenses, elle échoue cependant à distinguer, au sein d’un même code NACRE, des achats écoresponsables d’achats plus polluants. Par exemple, un équipement durable, acheté deux fois plus cher qu’un équipement premier prix, verra ses émissions carbones comptabilisées deux fois plus, alors qu’en réalité elles pourraient être nettement inférieures. De même, une prestation auprès d’un traiteur végétarien sera rangée dans le même code NACRE qu’un repas carné, quand bien même on connaît l’impact carbone de l’alimentation carnée. Pour lever cette incertitude, Stéphane Guillot, délégué scientifique au développement durable et aux risques, assure que « le CNRS travaille, avec le groupement de recherche (GDR) Labos 1Point5, à substituer aux facteurs d’émissions monétaires, utiles mais imparfaits, des facteurs d’émissions physiques, basés sur les caractéristiques environnementales réelles des achats ». Un groupe de travail à l’échelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche auquel contribuent notamment ce GDR, le CNRS et l’Ademe a été constitué avec pour objectif d’élaborer un référentiel des facteurs d’émission spécifiques aux activités de recherche.
Ces verrous méthodologiques n’empêchent pas cependant de poursuivre les efforts pour réduire l’impact environnemental des achats. De fait, avant même l’établissement du nouveau BEGES, le CNRS s’était attaché à réduire l’empreinte environnementale de ses achats. Dès juin 2023, en avance de phase de trois ans sur la règlementation de la fonction publique, l’organisme avait imposé à ses acheteurs régionaux l’intégration systématique de critères environnementaux dans leurs marchés formalisés. En parallèle, il finalise d’ici 2024, au terme d’une élaboration collective par la direction déléguée aux achats et à l’innovation du CNRS (DDAI) et les acheteurs régionaux, son premier schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, destiné à favoriser les achats responsables par les acheteurs publics. À l’échelon local, de plus en plus de laboratoires mutualisent leurs équipements et mettent en place des magasins de consommables.
- 1Nomenclature achats recherche enseignement supérieur. Mise en place au 1er janvier 2014 à l’issue d’un travail collégial des acteurs scientifiques français, cette nomenclature a pour objectif premier de vérifier la valeur des achats effectués par l'acheteur au regard des seuils prévus par le Code de la commande publique.
Énergie, déplacements et missions : les succès du plan de transition bas carbone
Cet accroissement de la part des achats dans le BEGES du CNRS s’explique également par la baisse des autres postes d’émission carbone, fruit des premiers succès de son plan de transition bas carbone. Grâce à d’importants travaux bâtimentaires, visant une meilleure isolation thermique ou la récupération de la chaleur fatale de certains équipements énergivores, le CNRS a diminué de 6 % ses consommations énergétiques, dont 10 % pour le gaz, 14 % pour les réseaux de chaleur et 16 % pour le fioul.
Les déplacements domicile-travail (3 % du total) ont également connu une évolution notable. Si, en 2019, les véhicules motorisés représentaient 34 % des déplacements quotidiens et 79 % des émissions carbone de ce poste, ils ont vu, en trois ans, leur utilisation diminuer de 10 % au profit des mobilités actives (marche, trottinette musculaire, vélo), qui, elles, ont gagné 20 % d’utilisations et sont désormais le premier mode de déplacement quotidien (37 %) des 33 000 agents du CNRS. La victoire des équipes du CNRS, pour leur première participation sous une même bannière, au challenge national « Mai à vélo » cette année atteste de cette reconfiguration des pratiques. Au-delà de l’empreinte environnementale, cette montée en puissance des mobilités actives a un impact positif sur la santé publique, car on estime que chaque kilomètre parcouru à vélo permettrait d’éviter environ un euro de coût de santé en France1 .
- 1https://theconversation.com/le-velo-un-potentiel-inexploite-pour-ameliorer-la-sante-et-le-climat-225010
Toutefois, la réduction la plus significative touche les déplacements professionnels (6 % du BEGES). Et pour cause : les déplacements aériens, moyen de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre, ont chuté de moitié entre 2019 et 2022. Cette baisse spectaculaire s’explique à la fois par des raisons conjoncturelles – la pandémie de Covid-19 ayant contraint la fermeture de nombreux pays, notamment asiatiques – et par des raisons plus structurelles de changement de pratiques individuelles et collectives : réduction du nombre de participation physique à des conférences internationales et recours accru à des systèmes de visioconférence facilitant les interactions, recours au train pour les déplacements en Europe. De fait, on observe dès à présent au CNRS un report modal de l’avion vers le train, qui voit sa fréquentation augmenter de 6 % entre les deux BEGES. Bien au fait de ces changements de pratique en vertu de son poste de travel manager à la direction déléguée aux achats et à l’innovation du CNRS, Jean-Luc Marchon note le caractère pionnier de l’établissement : « Le CNRS a été le premier client de son titulaire de marché à lui avoir demandé d’intégrer à son outil de réservation en ligne les règles de politique voyages découlant du plan de sobriété énergétique de l’État en direction d’une trentaine de destinations françaises et européennes les plus fréquentées par ses agents, ce qui sera opérationnel au printemps 2025. En trois mois, il a été la première entreprise publique à s’être aussi finement et rapidement conformée à la nouvelle règlementation en retirant de l’outil les destinations en avion réalisables en moins de 4h en train ».
Du bilan carbone au bilan biodiversité
Fort d’un BEGES plus robuste que le précédent, le CNRS sait désormais de quelle manière, comme le résume Stéphane Guillot, « trouver un équilibre entre l’optimisation de son bilan carbone et le maintien de recherches au plus haut niveau international, notamment sur la transition environnementale, desquelles pourraient émerger des solutions ».
Par ailleurs, comme le rappelle Blandine de Geyer, référente nationale au développement durable de l’organisme, « le bilan carbone ne constitue qu’une partie du bilan environnemental d’une organisation. En parallèle, il est nécessaire de prendre en compte son impact tout aussi important sur la biodiversité ». Bien que plus complexe à mesurer, le CNRS lance ce chantier dans le cadre de son nouveau schéma directeur développement durable et responsabilité sociétale (DD&RS) qui va lui permettre de développer une approche plus systémique en intégrant également la question de l’eau et des déchets notamment plastiques dont l’empreinte environnementale n’est que très partiellement prise en compte par le bilan carbone.
Une démarche qui va dans le sens de Stéphane Guillot, lui qui voit dans la transition environnementale« non pas une contrainte, mais une opportunité stratégique » pour l’organisme de recherche.