À Orsay, une bibliothèque centrale pour les mathématiques

Institutionnel

La bibliothèque Jacques Hadamard ne se contente pas d’abriter des ouvrages : elle incarne un dispositif documentaire au service des mathématiques françaises. Pensée pour s’ouvrir aux circulations du savoir, elle héberge aussi une mémoire imprimée précieusement répartie entre les institutions du pays.

Cinquième volet d'une série de six articles sur les lieux insolites de la recherche au CNRS.

C’est un îlot de tranquillité à quelques mètres de la rivière. Construit sur un ancien terrain de football le long de l’Yvette, au sud de Paris, l’Institut de mathématiques d’Orsay est reconnaissable à son bâtiment carré. Le lieu est aussi connu pour accueillir depuis 2017 la bibliothèque Jacques Hadamard1  qui possède l’une des collections d’ouvrages mathématiques les plus riches de France. Conçu par l’agence d’architecture Jean Guervilly et Françoise Mauffret, le bâtiment fait la part belle aux façades vitrées alternant avec des éléments en aluminium. S’y intègrent aussi des volumes en porte-à-faux qui renforcent l’impression de flottement de certains éléments, comme pour rappeler que le temps se suspend une fois la porte du lieu franchie. 

La bibliothèque se situe au cœur du bâtiment de l’institut, où elle occupe une position centrale à proximité de son patio. Répartie sur 1 500 m², elle comprend environ 125 places assises et des salles de lecture. Situées aux niveaux supérieurs, les salles de recherche accueillent quant à elles plusieurs terrasses pour laisser entrer la lumière et offrir des vues dégagées sur le campus et la nature environnante. « La bibliothèque a beau se trouver au rez-de-chaussée du bâtiment, du fait de la pente du terrain on a l’impression d’être dans les arbres », décrit Jean-Benoît Bost, mathématicien et lecteur de la bibliothèque, qui admet s’y rendre « non seulement pour consulter des ouvrages, mais aussi pour y trouver un cadre de travail et une atmosphère ». 

Une collection exceptionnelle d’essais mathématiques

Outre l’architecture du bâtiment, c’est aussi la richesse des collections que le lieu abrite qui fait sa spécificité : la bibliothèque possède plus de 70 000 ouvrages, dont 800 titres périodiques et 200 avec abonnement. Parmi ces ouvrages se trouvent en particulier des monographies d’enseignement, soit des manuels pédagogiques. Y siège également l’intégralité des œuvres publiées de plusieurs mathématiciens célèbres. Celles d’Archimède, connu pour son célèbre théorème mais aussi ses méthodes préfigurant le calcul intégral ; celles de Carl Friedrich Gauss qui a décrit les nombres premiers dans les progressions arithmétiques et qui a établi des bases de la théorie algébrique des nombres ; ou encore celles de Leonhard Euler qui a structuré de nombreux domaines fondamentaux et créé une grande partie du langage mathématique moderne. 

  • 1CNRS / Université Paris-Saclay.
La bibliothèque conserve de précieuses collections mathématiques, comme les oeuvres complètes d'Euler
La bibliothèque conserve de précieuses collections mathématiques, comme les oeuvres complètes d'Euler© Elisabeth Ruffing-Kneller / Bibliothèque Jacques Hadamard

Sous l’influence notamment du mathématicien français et futur académicien Jean-Pierre Kahane, son fonds documentaire fut principalement constitué grâce aux échanges et dons de mathématiciennes et mathématiciens français et étrangers.  À ce jour, les réserves recèlent une quantité impressionnante d’ouvrages mathématiques écrits en langue étrangère et non traduits. Parmi ses collections se trouve ainsi un nombre important d’œuvres de mathématiciennes et mathématiciens russes rédigées avant l’effondrement du bloc soviétique. Y sont aussi conservées plusieurs œuvres publiées en allemand dans les années 1930, une décennie durant laquelle les mathématiques allemandes réalisèrent des avancées majeures en physique quantique. Les fonds abritent également des œuvres en langue originale qui ont été réalisées par des mathématiciennes et mathématiciens de l’école d’algébrique italienne, active entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles, connue pour avoir développé une approche géométrique et intuitive des objets algébriques en se concentrant sur les propriétés qualitatives des courbes et des surfaces.

Un lieu pivot dans la conservation du patrimoine scientifique

Enfin, s’ajoute à cet inventaire tout un fond de « littérature grise ». Ces écrits consistent en des lettres de correspondance privées, des notes de séminaires, manuscrits de thèses, etc. la plupart du temps issus de legs familiaux de scientifiques décédés. Des textes qui sont centraux pour la recherche scientifique. « Luc Illusie, mathématicien français et figure centrale de l’école française de géométrie algébrique dans les années 1960, nous a par exemple transmis une grande partie de ses archives », décrit Elisabeth Kneller, responsable de la bibliothèque et médaille de cristal du CNRS en 2018, qui rappelle que « pour les mathématiciennes et les mathématiciens, les instruments de recherches, ce sont souvent les documents ». 

La bibliothèque Jacques Hadamard est membre du réseau national des bibliothèques de mathématiques du CNRS et participe plus particulièrement au projet du plan de conservation partagée des périodiques imprimés de mathématiques (PCMath), lauréat du cristal collectif du CNRS en 2024. Celui-ci vise à organiser à l’échelle nationale la conservation pérenne des collections imprimées de revues mathématiques entre 31 bibliothèques. « Nous avons un rôle de conservation du patrimoine scientifique, en particulier pour les revues, pour lesquelles ce rôle est déterminant ou pour les collections. Dans ce cadre, nous devons souvent acheter systématiquement une version numérique et imprimée », décrit Anne Moreau, directrice scientifique de la bibliothèque. Bien que des versions numériques de ces ouvrages existent, les collections papier demeurent en effet des témoins matériels utiles pour la bibliographie, la vérification, l’histoire des sciences ou la paléographie des textes. La bibliothèque devient ainsi un outil précieux tant pour les mathématiques que les sciences humaines et sociales.

La bibliothèque Jacqes Hadamard
La bibliothèque Jacqes Hadamard© Fred Hullin

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