COP26 : « il faut réaffirmer le rôle de la science dans l’appui aux prises de décision »

CNRS

Alors que la COP26 vient de s’achever sur un constat mitigé, gros plan sur le rôle des scientifiques et les engagements du CNRS face au dérèglement climatique.

Tous les jours, plus de 2000 chercheurs et chercheuses au CNRS – répartis dans les laboratoires de ses 10 instituts – œuvrent pour une meilleure compréhension des mécanismes qui régissent l’écosystème et le climat de notre planète. On le constate dans les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC1 ), qui tous les cinq ans, offrent des évaluations détaillées de l'état des connaissances scientifiques sur le sujet et où « dans son dernier rapport, le CNRS y est majoritairement présent en termes de sources bibliographiques, d’auteurs ou encore de rapporteurs. Il est le premier contributeur de savoir mondial du GIEC », indique Nicolas Arnaud, directeur de l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU) du CNRS.

Ces rapports sont essentiels car ils permettent aux États de préparer les réponses les plus adaptées lors des fameuses Conférences des Parties (COP) annuelles, dont la vingt-sixième se tenait du 1er au 12 novembre à Glasgow. Cette année encore, de nombreux enjeux restaient en suspens notamment en termes de mise en application de l’Accord de Paris : l’ambition de limiter le réchauffement à 1,5 °C à l’échelle globale et à travers l’engagement des États ; le soutien financier des pays développés aux pays en développement ; l’avancement des plans d’adaptation ou encore les problématiques concernant les règles d’application de l’Accord de Paris et notamment son « article 6 », qui autorise les pays à réaliser des échanges de réduction d’émissions de gaz à effets de serre pour atteindre leur objectif carbone.

Et si la COP26 concentrait beaucoup d’attentes, c’est que la mise en application des Accords de Paris, signés en 2015, laissait cinq ans aux États pour relever leurs objectifs de réduction. Les États devaient donc rapidement se mettre d’accord sur des règles. Mais les contextes et échiquiers politiques ont largement évolués depuis, notamment avec la crise sanitaire et pétrolière. Le monde se caractérise par une certaine instabilité géopolitique, alors que la Chine, le Brésil et la Russie ont refusé de se rendre à Glasgow cette année. « Ces jeux d’acteurs à l’échelle internationale changent la donne depuis la COP21 et créent des tensions entre les États dans leurs engagements et leur partage d’intérêts face à un enjeu global », explique Agathe Euzen, directrice adjointe de l’Institut Écologie et Environnement (INEE) du CNRS.

« C’est pourquoi il faut réaffirmer le rôle de la science dans l’appui aux prises de décision », souligne Nicolas Arnaud, pointant l’importance du dernier rapport du GIEC – publié en août dernier – qui conclut sans aucune ambiguïté à l’origine humaine du dérèglement climatique. « La société n’a jamais eu autant besoin de science pour dresser un bilan global, mais aussi pour mesurer l’impact des engagements pris par les États », ajoute-t-il. Les scientifiques du CNRS, à travers l’ensemble de leurs travaux, de leurs observatoires et infrastructures, des modes de mesures, d’analyses et de simulations ont un rôle majeur dans ce suivi, mais également pour proposer des solutions.

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Station météorologique de Uva Mira, installée depuis 1994 au sein d'un réseau d'analyse du climat des vignobles de la région du Cap en Afrique du sud, et vue sur la False Bay. Cette région est étudiée dans le cadre du projet Terviclim (Terroirs viticoles et changement climatique) qui vise à installer un maillage serré de capteurs météorologiques dans des cépages ciblés afin d'étudier, sous des latitudes différentes, l'évolution et l'impact du réchauffement de la planète sur le raisin et sur les crus. © Hervé QUENOL/CNRS Photothèque

L’interdisciplinarité, au croisement de solutions

« Une de ces solutions se trouve dans les approches interdisciplinaires capables de prendre en compte la complexité des enjeux », soutient Stéphane Blanc, directeur de l’Institut écologie et environnement (INEE) de l’organisme, qui insiste sur le besoin de parler de « dérèglement climatique » plutôt que de « changement climatique ». « On parle d’augmentation de températures à certains endroits et de baisses à d’autres, de temporalité des saisons perturbée qui a une conséquence sur les écosystèmes qui à son tour va avoir des conséquences sur la chaîne alimentaire, le cycle du carbone, les usages de l’eau… » La science de la durabilité2  est une approche qui favorise la prise en compte de toute la complexité de ces enjeux et des systèmes en mobilisant des connaissances multiples.

Cette dernière est particulièrement développée au CNRS, « doté de deux jambes qui font sa force : l’excellence thématique de ses communautés et leur excellence à construire des parcours interdisciplinaires entre elles », explique Nicolas Arnaud. Des groupes se sont même structurés interinstitut avec par exemple le site d’étude en écologie globale (SEEG) de Mayotte ou encore les groupements de recherche tels que  ClimaLex qui regroupe des chercheurs de l’INSHS et de l’INEE. « Les observatoires dont le CNRS dispose sont également des éléments sur lequel on peut appuyer nos projets », décrit Marie Gaille, directrice de l’Institut des sciences humaines sociales (INSHS) du CNRS.

Le CNRS soutient par ailleurs les actions du programme de recherche international Future Earth dont l’objectif est de croiser la production de connaissances fondamentales avec la réalité du terrain pour proposer des solutions aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unis.

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Les chercheurs du laboratoire de glaciologie, en train de réaliser un carottage au sommet du Mont-Blanc, en 2005. © Christian VINCENT/CNRS Photothèque

Vers des actions contraignantes ?

La COP26 a soulevé aussi l’enjeu particulier de ‘principes juridiques contraignants’ qui obligent les États à respecter leurs engagements envers la planète. Là aussi, les scientifiques ont un rôle à jouer. « Les chercheurs en droit sont là pour interpréter comment les États s’emparent du sujet de l’écologie et le traitent de façon contraignante dans leurs textes de loi et cela même s’il n’y a pas de bénéfice dans l’immédiat », explique Marie Gaille. Mais comment évaluer les actions ? Sur quels critères, quels indicateurs, quelle temporalité, quelle échelle s’appuieront-ils ? « Il ne faut pas que cette question reste une affaire politique, affirme Stéphane Blanc. Les scientifiques doivent aider les décisionnaires à élaborer ces évaluations. Il faut y intégrer des dimensions juridiques, sociologiques et écologiques, et prendre en compte toutes les observations réalisées et les capacités de réponse des sociétés et des écosystèmes. Il faut aussi accepter que cela va prendre du temps. »

Il n’est pas trop tard  

Le dernier rapport du GIEC insiste aussi sur un point important : « les modélisations et simulations montrent que toute action – ou inaction – aujourd’hui aura un effet dans les dizaines d’années qui viennent. Il n’est donc pas trop tard », assure Nicolas Arnaud. Et ces actions doivent être diversifiées. « On ne peut cibler uniquement la limitation d’émissions de gaz à effets de serre, car la réhabilitation des zones humides aura également un impact important, ajoute Stéphan Blanc. Il faut réattribuer à la nature ses fonctions premières ». Un objectif qui reste difficile à l’échelle de la planète.

Pallier les inégalités

« Nous sommes dans un moment de redéfinition des alliances et des rapports de forces entre les différentes zones du monde », explique Marie Gaille. Elle ajoute : « Les zones émergentes souhaitent continuer leur développement économique parfois au mépris de l’atténuation du dérèglement climatique ; la problématique du développement soutenable n’est pas la même pour tous et certains pays seulement sont prêts à prendre des mesures contraignantes. La manière dont les sociétés embrassent ou non la lutte contre le dérèglement climatique est un élément majeur de négociation. »

Palier ces inégalités est donc essentiel. Et c’est aussi inscrit dans les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies qui visent le développement des populations, la limitation de la pauvreté, de la précarité, la préservation de l’environnement, tout en laissant à chacun une capacité à évoluer. « Les scientifiques doivent aider les populations à se projeter dans l’adaptation et dans la résilience et montrer qu’une transformation est possible en plus d’être nécessaire. Mais nous devons aussi trouver la meilleure façon de rendre plus appropriables les travaux des scientifiques par la société. » indique Agathe Euzen.

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Touché par la fonte de la calotte du Groenland, ce glacier au nord-est ne débouche plus sur la mer. Le front est posé sur un soubassement de roche. A la fin de l’été, les reliefs alentour sont complètement nus. © Erwan AMICE / LEMAR / CNRS Photothèque

Une résilience humaine à bout de souffle

Si l’océan a jusqu’alors montré une certaine résilience au dérèglement climatique, jouant même un rôle clé dans la régulation des concentrations atmosphériques de CO, tous les modèles montrent qu’il en est à sa limite. Comme la plupart de nos écosystèmes. Mais qu’en est-il de la limite de la résilience sociale ? Le dernier rapport du Giec prédit une augmentation significative d’évènements extrêmes, dont les dégâts – dans les pays riches – sont aujourd’hui couverts par les assurances. « Mais nous sommes presque à la limite. Les compagnies d’assurance commencent déjà à réfléchir à des indexations selon les zones de risques. Les répercussions économiques seront très rapides. », explique Nicolas Arnaud.

Une lente et difficile prise de conscience

« Il y a une prise de conscience, mais surtout chez les plus jeunes », indique le directeur de l’INSU. Certains changements de modes de vies sont d’ailleurs liés aux inquiétudes face au dérèglement climatique, qui a aussi à voir avec des problématiques de développement durable. Mais ces idées viennent rapidement se heurter à des questions concrètes, comme le pouvoir d’achat, qui a un effet bien plus immédiat. « Les risques ne sont pas appréhendés de la même façon par l’esprit humain selon que leur impact est immédiat ou retardé. De plus, un certain nombre de lobbyistes n’ont pas aidé, créant un doute sur les origines du dérèglement climatique », informe Nicolas Arnaud. « Des études menées notamment par des psychologues, neurologues, sociologues… essayent de comprendre ces fameuses résistances au changement et comment accompagner le changement », ajoute Agathe Euzen.

« Les questions autour de la prise de conscience font écho à un certain nombre d’interrogations en santé publique sur le comportement », ajoute Marie Gaille. Au-delà, plusieurs unités de recherche, notamment le laboratoire Arènes, travaillent sur la prise de conscience écologique en étudiant notamment les grandes manifestations pour le climat. « Est-ce que les personnes sont prêtes à accepter toutes les implications de cette prise de conscience, en termes d’usages et de consommation par exemple ? Nous l’ignorons encore, mais observons des changements à tous les niveaux et, contrairement à ce qui peut être avancé, les classes populaires ne sont pas nécessairement moins réceptives à ce message », ajoute la directrice de l’INSHS.

L’objectif est également de quitter des injonctions contradictoires et oublier l’idée qu’adopter un comportement plus écologique est « un sacrifice ». « On ne met pas assez en avant que changer peut dire : aller mieux, insiste Agathe Euzen. Aujourd’hui, si l’économique prime, il est nécessaire de reconsidérer les valeurs sociales et environnementales et les intégrer davantage. » Les travaux scientifiques peuvent aider à apporter des réponses. Et c’est en « mobilisant des disciplines complémentaires, mais également la société civile, que nous pourrons trouver des solutions », ajoute Stéphane Blanc.

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Kuujjuarapik, un village du Nunavik, une région arctique du Québec. Cette photographie a été prise dans le cadre du projet APT (Acceleration of Permafrost Thaw by Snow-Vegetation Interaction) sur le pergélisol. Typique des régions arctiques, le pergélisol, le sol gelé depuis des milliers d'années, dégèle peu à peu sous l'effet du réchauffement climatique. Il libère dans l'atmosphère du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane, deux puissants gaz à effet de serre. © Laure CAILLOCE/Takuvik/CNRS Photothèque

La science à tous les niveaux

Le CNRS a d’ailleurs « une capacité d’action pour atteindre les lieux de décisions politiques à l’échelle internationale, nationale, et des territoires », explique Nicolas Arnaud. L’organisme a en effet développé un rôle opérationnel sur tout le territoire français alors qu’il multiplie les conventions avec les régions. « Il y a une vraie implication des chercheuses et chercheurs à l’échelle régionale qui peut aller encore plus loin. C’est par exemple ce qui a été initié il y a déjà 10 ans par AcclimaTerra, comité scientifique régional sur le changement climatique de la région Nouvelle-Aquitaine auquel le CNRS participe et dont plusieurs collectivités se sont aujourd’hui emparées. Ou encore Nîmes et Nice, deux villes qui ont aussi mené un travail avec les scientifiques sur les épisodes cévenol », indique Agathe Euzen. Pour aller encore plus loin dans l’impact du lien science-société, il y aurait une « nécessité de créer de vraies structures de transfert de connaissance », affirme Marie Gaille.

Le CNRS réfléchit aussi sur ses propres pratiques de recherche en matière d'environnement et a récemment mis en place un Comité développement durable qui va favoriser la mesure de l’impact environnemental de ses activités. « Il nous appartient de respecter nos engagements et de les consolider », souligne Nicolas Arnaud qui se veut optimiste sur l’avenir, mais mesure les limites de l’engagement scientifique. « Nos connaissances sont là. Reste aux pouvoirs décisionnaires de les prendre en compte en nous écoutant. »

  • 1Créé en 1988, le GIEC vise à fournir des « évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade. »
  • 2Les sciences de la durabilité visent à comprendre comment fonctionnent les systèmes physiques, biologiques et sociaux complexes.