Le CNRS et Imperial College London lancent un nouveau centre de recherche international

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Un nouvel International Research Center (IRC) vient renforcer les liens existants entre le CNRS et Imperial College London. Dans cette interview exclusive, la professeure Alice Gast, présidente d’Imperial College London, explique pourquoi la science d’excellence provient souvent d'équipes diverses et de collaborations internationales.

L’International Research Center (IRC) CNRS-Imperial, axé sur la transformation numérique et les défis mondiaux, est le deuxième IRC1  lancé à l'étranger par le CNRS. Ce nouvel outil permet un dialogue stratégique ambitieux afin de définir des intérêts mutuels et des collaborations avec des projets communs et cofinancés. Quels sont les principaux domaines de recherche retenus pour cet IRC, et pourquoi ?

Alice Gast2  : Cet IRC est en effet un nouveau pôle scientifique qui va stimuler la collaboration interdisciplinaire. Il s'appuiera sur les atouts complémentaires du Royaume-Uni et de la France dans les sciences mathématiques, l'Internet des objets (IoT), l'intelligence artificielle (IA), les sciences des données et les systèmes d'ingénierie. Il existe également des collaborations croissantes dans les sciences des matériaux, le stockage de données sur ADN, la médecine, l'alimentation et la nutrition. Tous ces éléments offrent de nouvelles opportunités vers l’acquisition de nouvelles connaissances et pour mieux relever les défis mondiaux afin de rendre nos sociétés intelligentes, résilientes, durables et saines.

L'IRC CNRS-Imperial vise notamment à soutenir les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies3  à travers ses recherches.

A. G. : Les scientifiques d’Imperial et du CNRS travaillaient déjà en étroite collaboration dans le but de donner naissance à des avancées en santé, égalité ou encore pour la croissance économique au Royaume-Uni et dans le monde. Les deux institutions ont perçu des opportunités d'accroître cette collaboration au-delà de ce qui avait déjà été réalisé, en tirant parti de nos forces de recherche respectives, pour étudier et résoudre les défis mondiaux urgents liés aux objectifs de développement durable des Nations Unies.

Ces objectifs sont essentiels pour faire face aux crises interdépendantes du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, ainsi qu'à la fragilité économique et sociale qu'elles provoquent. Ils sont également essentiels aux défis auxquels nous sommes tous confrontés en matière de santé publique et de préparation aux pandémies. Imperial et le CNRS prévoient notamment d'étudier les opportunités de collaboration de recherche avec des partenaires en Afrique. Nos réseaux solides dans les pays anglophones et francophones nous permettront de travailler davantage avec nos collègues africains.

Enfin, Imperial a récemment lancé un nouveau centre, le Global Development Hub, pour aider à maximiser l'impact de nos recherches sur la société et dans les pays en développement, mais il vise également à s'engager envers les ODD. Dans le cadre de ces engagements, les équipes s’investissent, avec le CNRS et un large éventail de partenaires européens et africains, pour mener des recherches sur les systèmes alimentaires respectueux de l'environnement.
 

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La campus d'Imperial College London © Imperial College London

Imperial College London est l'une des meilleures universités au monde – elle est actuellement classée 3e au Royaume-Uni et 3e en Europe. Quels sont ses principaux domaines d'excellence et comment envisage-t-elle son rôle dans un monde qui semble de plus en plus fragmenté, du moins politiquement ?

A. G. : Imperial jouit d'une réputation mondiale dans les domaines de la science, de l'ingénierie, des affaires et de la médecine. Nos scientifiques font des percées majeures chaque année, des premiers essais cliniques au monde liés au Covid-19 sur l’homme, à l'exploration de la surface de Mars, en passant par le prix Breakthrough 2021 du professeur Sir Martin Hairer pour l'analyse stochastique. Imperial est également l'une des universités les plus internationales au monde. Plus de 60% de nos étudiants sont internationaux et nos collaborations de recherche avec des pairs mondiaux se répandent aux quatre coins du monde. Ces collaborations internationales sont essentielles à notre succès.

La science d’excellence provient d'équipes diverses et de collaborations internationales, et les universités qui collaborent vraiment seront les mieux placées pour éduquer les générations à venir et leur offrir des innovations d’importance pour la société. Je l'ai vu lorsque j'ai passé une année postdoctorale puis lors de congés sabbatiques en France. Ces visites m'ont ouvert les yeux sur la façon dont les différences de culture, d'expériences et de visions du monde améliorent notre travail. Je me souviens m'être assise pour m'attaquer à un problème complexe en physique de la matière condensée et avoir constaté que mes collègues français avaient une approche complètement différente de la mienne. Nos forces complémentaires, une fois combinées, ont enrichi notre travail.

Vous avez des liens solides et de longue date avec un certain nombre de partenaires, tels que le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Comment décririez-vous votre collaboration avec le CNRS par rapport à vos autres partenaires ?

A. G. : Imperial College London travaille avec des partenaires internationaux de différentes manières, notamment par le biais de laboratoires et de centres communs, de fonds de démarrage et de projets, et d'échanges d'étudiants et de personnels. Nous collaborons avec le MIT depuis plus de 80 ans et nous avons maintenant un programme d'échange étudiant, un programme d'entreprise et un fonds d'amorçage commun pour la recherche fondamentale.

Nous avons également des liens forts et anciens avec le CNRS. Pendant des décennies, nos scientifiques ont traversé la Manche pour partager leurs connaissances, passer du temps dans les laboratoires des uns et des autres et faire progresser les connaissances scientifiques. L'un des chimistes les plus célèbres au monde et lauréat du prix Nobel, Sir Derek Barton, a occupé des postes de direction à la fois à  Imperial College London et au CNRS. Aujourd'hui, le CNRS est en fait notre premier collaborateur européen en termes de publications co-écrites, avec environ 500 articles scientifiques  conjoints publiés chaque année. Le nouvel IRC va accentuer ce lien fort qui existe entre Imperial et le CNRS. Et nous voyons déjà nos publications avec le CNRS croître d'année en année depuis le lancement de l’International Research Laboratory4  (IRL) Abraham de Moivre en 2018.

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Alice Gast et Alain Schuh, directeur général délégué à la science au CNRS à l'occasion du lancement du Joint PhD Program en 2019. © Imperial College London

D'autres universités britanniques ont choisi d'autres pays européens - par exemple l'Allemagne - pour y concentrer leurs collaborations européennes. Pourquoi, à travers cet IRC, avez-vous choisi la France comme partenaire et plus particulièrement le CNRS ?

A. G. : Imperial est l'une des universités les plus internationales au monde et nous travaillons avec de nombreux partenaires à travers l'Europe. Depuis le résultat du référendum sur le Brexit, nous avons développé une série de nouveaux partenariats européens, par exemple avec le CNRS et l'Université technique de Munich. Nous continuerons à établir des partenariats et des collaborations en Europe et dans le monde.

Des scientifiques français et britanniques collaborent depuis des décennies. La France a une riche histoire de brillants mathématiciens et scientifiques. Le pays a produit six lauréats de la médaille Fields depuis 1990, dont le mathématicien Cédric Villani, qui a visité notre université avec le CNRS il y a quelques années.

En 2018, nous avons eu l'honneur d'accueillir le premier IRL du CNRS au Royaume-Uni. L’IRL Abraham de Moivre est un laboratoire commun de mathématiques qui sert de plateforme pour les collaborations entre les communautés de mathématiques française et britannique. Il a déjà accueilli des dizaines de mathématiciens français ici à Londres. Depuis, le partenariat n'a cessé de se renforcer et s'est étendu à des projets de doctorat conjoints sur les Big data et à un réseau international sur les théories quantiques des champs et des cordes (IRN:QFS).

Notre programme doctoral collaboratif en est maintenant à sa troisième année. Il s'agit d'un programme fantastique car il relie à la fois nos principaux scientifiques - chaque projet finance un doctorant chez les deux partenaires pendant trois ans - et il attire des doctorants très brillants qui ont accès aux laboratoires, aux universitaires et aux installations du CNRS et d’Imperial College London. Les doctorants permettent de renforcer les capacités de recherche et réunir les équipes de recherche, notamment parce que le programme comporte un élément d'échange et de co-supervision intégré en vertu duquel nos étudiants passeront au moins trois à six mois dans un laboratoire du CNRS et vice-versa.

Alors que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l'Union européenne, l'IRC se pose, respectivement, comme une porte d'entrée pour Imperial College London en France - et plus largement dans l'UE -, et pour le CNRS au Royaume-Uni. C'est la preuve qu'un lien peut être maintenu malgré le Brexit. Comment mesurez-vous l'impact du Brexit sur vos relations européennes, et plus particulièrement sur le programme de financement de l'UE Horizon Europe ?

A. G. : Nous ne devons pas laisser ces temps incertains nous distraire du travail important qui nous attend. Nos engagements internationaux nous rendent plus forts et nous continuerons à les construire. Nous continuerons à garder nos portes ouvertes aux étudiants, collaborations et collègues du monde entier. Suite à la sortie du Royaume-Uni de l'UE, il est plus que jamais nécessaire de renforcer les liens avec nos partenaires en Europe. De part et d'autre de la Manche, Imperial et le CNRS sont très enclins  à maintenir des liens étroits et d'en créer de nouveaux entre leurs équipes.

Imperial College London abrite des scientifiques parmi les plus talentueux au monde et nous continuons à obtenir avec succès des financements du programme Horizon Europe, y compris des subventions du Conseil européen de la recherche (ERC). Cette année, nous avons obtenu plus de 10 millions d'euros de financement d'Horizon Europe. Ce succès reconnaît la valeur que les scientifiques d’Imperial et du Royaume-Uni offrent à la communauté scientifique européenne. Nous demandons instamment que l'association du Royaume-Uni à Horizon Europe soit bientôt finalisée. Ce nouveau partenariat avec le CNRS renforcera les propositions de collaboration pour Horizon Europe et d'autres opportunités de financement de la recherche.
 

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L'IRL du CNRS Abraham de Moivre est un laboratoire commun de mathématiques qui sert de plateforme pour les collaborations entre les communautés de mathématiques française et britannique. © Imperial College London

L'Europe connaît actuellement son plus grand conflit depuis la Seconde Guerre mondiale, et le monde de la recherche a pris des positions fortes contre la Russie. Quelle a été la réaction des institutions de recherche britanniques ?

A. G. : Nous sommes profondément préoccupés par les événements tragiques en Ukraine et nos pensées vont à tous ceux qui sont touchés. Nous condamnons l'invasion injustifiée et inhumaine par la Fédération de Russie.

Des scientifiques britanniques, russes et ukrainiens travaillent en étroite collaboration depuis des décennies dans des domaines tels que la santé, la physique des hautes énergies et l'exploration spatiale. Il existe une longue histoire de scientifiques travaillant au-delà des frontières en période de conflit, améliorant le monde grâce à leurs découvertes et jouant un rôle important dans la reconstruction de relations qui ont été divisées. Ces relations individuelles doivent continuer ; cependant, nous ne travaillerons pas avec l'État russe.

 

  • 1Il fait suite au « France-Arizona Institute for Global Grand Challenges » situé à Tucson, aux Etats-Unis et lancé en 2021.
  • 2Alice Gast est, depuis 2014, présidente d’Imperial College London. Diplômée de Princeton puis chercheuse postdoctorale à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris (ESPCI), elle a enseigné à Stanford puis au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Cette professeure américaine très francophile est membre de l’Académie française des technologies. Conseillère du maire de Londres, Sadiq Khan, sur l’avenir des relations avec l’Union européenne, elle est déterminée à renforcer le leadership international de sa prestigieuse université centenaire.
  • 3Les objectifs de développement durable nous donnent la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous. Ils répondent aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice. Les objectifs sont interconnectés et, pour ne laisser personne de côté, il est important d’atteindre chacun d’entre eux, et chacune de leurs cibles, d’ici à 2030. Cliquez sur un objectif spécifique ci-dessous pour en savoir plus.
  • 4Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).