PEPR SPIN : la spintronique au service d’un numérique frugal

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Le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire SPIN est lancé officiellement ce lundi 29 janvier. Piloté par le CNRS et le CEA, il vise à soutenir une recherche innovante en spintronique visant le développement d’un monde numérique plus frugal, agile et durable. Il est doté d’un budget de 38,13 millions d’euros sur 6 ans. Entretien avec Vincent Cros, directeur du programme pour le CNRS.

Dans quel cadre s’intègre le PEPR SPIN – que vous coordonnez avec Lucian Prejbeanu (pour le CEA) – et quels sont ses enjeux ?
Vincent Cros1 : Le PEPR part du constat que « le monde numérique » s’est introduit de façon spectaculaire dans nos vies au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, en seulement deux jours, nous produisons autant de données que sur la période allant du début de l’humanité à 2003. De fait, le numérique a engendré un changement sociétal – il modifie largement nos façons de vivre – mais il impacte aussi le monde économique, puisque quatre des cinq plus grands groupes au monde en termes de capital sont issus de ce secteur2 . Ce dernier est également source d’opportunités évidentes : nouvelle médecine, internet des objets, villes et maisons connectées, etc. Cependant, cette croissance spectaculaire du numérique requiert énormément d’énergie. S’il consomme aujourd’hui 10 % de l’électricité, en 2035 ce seuil devrait être compris entre 20 et 30 % de la production mondiale. De plus, ce développement est d’ores et déjà affecté par la criticité de certains matériaux nécessaires à la fabrication de composants électroniques.

L’objectif du PEPR SPIN est donc de mettre en avant le potentiel de la spintronique pour répondre à ces multiples enjeux, mais aussi d'apporter des solutions innovantes à une grande diversité d’usages. Nous souhaitons également accroître la visibilité de notre communauté afin de convaincre la France et l’Europe d’anticiper et d’investir dès maintenant dans son savoir-faire avant qu’elle ne se trouve, comme l’électronique classique, au cœur de problématiques de souveraineté qui nous toucherons d’ici une dizaine d’années.

Qu’est-ce que la spintronique et comment se distingue-t-elle de l’électronique ?
V. C : En électronique, on crée, déplace et détecte des électrons en utilisant leur charge. La spintronique permet de faire la même chose, mais avec un levier supplémentaire qui est une autre propriété intrinsèque à l’électron : son spin. On peut l’imager comme un petit aimant porté par chaque particule. Grâce au spin des électrons, on crée des propriétés et des fonctionnalités nouvelles, qui conservent les atouts de l’électronique, en y ajoutant ceux du magnétisme, et en particulier son caractère non-volatile.

Vous l’aurez donc compris, un des avantages de la spintronique comparé à l’électronique est sa frugalité qui permet d’envisager une forte réduction de la consommation électrique du numérique. De plus, les composants spintroniques envisagés sont facilement intégrables puisqu’ils reposent sur des matériaux et des systèmes compatibles avec les technologies des semi-conducteurs. La spintronique présente ainsi des intérêts pour des opérations de calcul, de stockage d’informations, de détection et de mesure. Par exemple, une voiture actuelle peut avoir jusqu’à 250 capteurs de mesure liés à la spintronique. Cette dernière est également au cœur d’une nouvelle génération de mémoires vives magnétorésistives « MRAM » utilisées pour des applications dans divers domaines comme l'automobile, la défense, l'aérospatiale et l'électronique grand public.

Quelles propriétés de la spintronique seront explorées par le PEPR et pour quelles applications ?
V. C : Lors du montage de ce projet, la communauté spintronique était à l’unisson quant aux axes à prioriser et les actions qui permettront d’augmenter l’impact de nos recherches. Nous voyons émerger de nombreuses innovations prometteuses à des degrés de maturité différents. Nous avons donc sélectionné quelques thématiques avancées et d’autre plus risquées, avec des défis plus grands mais des retombées potentiellement très fortes dans la conception de dispositifs.

Par exemple, un projet portera sur l’utilisation de nouvelles textures topologiques magnétiques. Celles-ci pourraient servir au développement de composants neuromorphiques, c'est-à-dire qui intégreront directement de l’intelligence artificielle. Cela pose des défis en termes de matériaux, de fabrication et de conception. Un autre projet visera à amener de nouvelles solutions aux capteurs spintronique existants pour les rendre davantage multifonctionnels, plus autonomes et qu’ils puissent s’auto-calibrer. Cela ouvrira la voie à de nouvelles mesures actuellement impossibles. Dernier exemple, la volonté d’utiliser les ondes de spin et les courants de spin qui les accompagnent comme nouveau support de traitement de l’information. Ce domaine pourrait aboutir à des dispositifs de logique et de calculs à faible coût énergétique.

Des appels à projet seront également ouverts à mi-parcours et permettront de greffer au PEPR de nouvelles idées aux interfaces avec d’autres communautés, par exemple, avec la physique quantique, la photonique ou encore la biologie.

Le PEPR soutient également la mise en place d’un réseau de plateformes et d’échanges de savoir-faire.
V. C : En effet, pour accompagner les futures ruptures, nous allons renforcer le réseau existant de plateformes technologiques pour le développement de matériaux innovants. Un effort important sera également programmé pour soutenir à l’échelle nationale des activités en théorie et modélisations multi-échelles. La spintronique est intrinsèquement liée à l’étude de matériaux à l’échelle nanométrique. Un fort soutien sur de nouveaux outils de caractérisation avancée permettra de comprendre les propriétés de ces derniers : magnétisme, électronique, optique avec émission de lumière polarisée, signaux haute fréquence, etc. Autant de caractéristiques qui devront être explorées pour apporter des innovations.

L’objectif est de doter la France d'une infrastructure de recherche intégrée de classe mondiale. Nous allons ainsi soutenir la mise en réseau et l’accès à des infrastructures bien identifiées au niveau national, similaires au réseau RENATECH+3  mais sur les matériaux et leur caractérisation. D’ailleurs, nous capitaliserons également sur les capacités de nanofabrication de ce dernier. Nous espérons ainsi donner davantage de cohérence et de structuration à la communauté des matériaux et ses liens avec la spintronique.

Quelles seront les retombées potentielles de ce PEPR ?
V. C : Nous voulons garder dans ce PEPR, et bien sûr amplifier, la capacité rapide de notre communauté à réaliser des va-et-vient entre recherche fondamentale et appliquée. Nous allons accompagner ce cercle vertueux et permettre aux scientifiques d’aller jusqu’à l’intégration de nos découvertes dans la stratégie nationale en microélectronique. Nous envisageons donc de servir de tremplin à des innovations qui pourraient être exploitées dans le cadre du PEPR d’accélération Électronique démarré en 2022, mais également dans les PEPR d’accélération Quantique, 5G ou encore IA. À terme, le PEPR SPIN apportera des études comparatives de nos nouvelles approches par rapport à l’existant – une étape essentielle en vue de susciter l’intérêt des industriels. Notre objectif ultime sera d’intégrer nos développements, et plus largement la spintronique, dans la micro-nanoélectronique européenne en soutien à son renouveau industriel et à sa souveraineté.

  • 1Directeur de recherche CNRS en spintronique à l’Unité mixte de physique CNRS, Thales, Université Paris-Saclay.
  • 2Apple, Microsoft, Alphabet et Amazon.
  • 3RENATECH+ est le réseau national des centrales académiques de technologies de nanofabrication porté par le CNRS.