Quand la recherche s’intéresse au droit et à la justice

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Le CNRS est membre de l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice, qui propose une vision interdisciplinaire et interprofessionnelle de ces enjeux.

« Notre objectif est de décloisonner les relations entre scientifiques, professionnels du droit et de la justice qui travaillent sur le terrain, et institutions et pouvoirs publics qui se préoccupent de ces questions. », résume Valérie Sagant, directrice de l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ). Né le 1er janvier 2022 de la fusion de deux entités – l’Institut des hautes études sur la justice et la Mission de recherche Droit et justice –, l’IERDJ en poursuit et prolonge les missions.

Croiser les points de vue

Pour cela, l’Institut a choisi une forme juridique particulière : le groupement d’intérêt public de droit français. Ni laboratoire, ni association “loi de 1901”, ni groupement de recherche, ce statut permet de « réunir autour d’un objectif commun des acteurs de l’État et des acteurs privés », explique la directrice. En cela, il constitue un « levier intéressant pour croiser les intérêts et les perspectives différentes sur les questions du droit et de la recherche ». Les 16 membres constitutifs du groupement (voir encadré) assurent donc collectivement la gouvernance et contribuent au budget et au personnel de l’Institut, soit une vingtaine de personnes issues du monde scientifique, des juridictions ou de directions du ministère de la Justice.

Valérie Sagant debout au micro, face à Pierre Moscovici assis
Valérie Sagant, directrice de l’IERDJ, et Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du GIP depuis le 1er janvier 2023, lors du lancement de l’Institut. © IERDJ

Engagé depuis près de 30 ans dans la Mission de recherche Droit et justice qu’il a co-créée avec le ministère de la Justice, le CNRS renforce son implication dans le nouveau groupement. « L’IERDJ est un magnifique écrin pour réaliser l’une des missions du CNRS : œuvrer à la connaissance pour le bien commun. », analyse Marie Gaille, directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) de l’organisme. « Cet écrin tient dans le fait de garantir à la recherche scientifique en droit et sur le droit, les pratiques juridiques, les métiers et les évolutions de la justice, la possibilité de développer des questionnements nourris par les échanges à l’interface de tous les partenaires de l’Institut, donc en prise avec les mutations de la société. Cette recherche est autant le fait de spécialistes du droit que de sociologues, historiens, philosophes, politistes, etc. » Ce soutien est « extrêmement important pour développer nos nouvelles ambitions », assure Isabelle Sayn, directrice de recherche au CNRS et directrice adjointe scientifique de l’IERDJ : « Le CNRS incarne la dimension “recherche” de l’Institut et en garantit l’indépendance. Il joue un rôle essentiel dans l’équilibre entre les membres du groupement. »

Les membres du groupement

L’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice rassemble 16 membres constitutifs, assurant la gouvernance sous forme d’assemblée générale et contribuant au budget et au personnel de l’Institut. L’État y contribue pour moitié, représenté par les quatre Cours supérieures françaises – le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Cour des comptes – qui se relaient à la présidence. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, a ainsi pris la présidence du GIP au 1er janvier 2023. Participant à hauteur de 25 % au budget, le CNRS assure la vice-présidence avec le ministère de la Justice.

Sont également membres le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), France Universités, la Caisse des dépôts, des organismes professionnels comme le Conseil supérieur du notariat, le Conseil national des barreaux, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et la Chambre nationale des commissaires de justice, et deux associations, l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et le Cercle Montesquieu. Autonome, le groupement d’intérêt public possède sa propre personnalité juridique.

Structure de référence, l’IERDJ agit de plusieurs manières, allant de la production à la diffusion des connaissances. Tout d’abord, il soutient et finance 20 à 30 projets de recherche interdisciplinaire par an, au fil de l’eau ou via des appels à projet thématiques. Cinq appels à projets ont ainsi été lancés début 2023, sur des thématiques comme la justice sociale, les métiers des personnels de soutien de l’activité juridictionnelle, ou encore la justice environnementale. L’appel « Besoins, demandes et attentes de justice » sera reconduit tous les 6 mois pendant 3 ans, afin de « susciter des recherches », et d’autres axes pérennes ont été identifiés, comme l’impact du numérique sur le monde judiciaire ou le rôle de ce dernier dans la sauvegarde de l’environnement. « Nos appels détaillent les questions que nos membres se posent sur chaque thématique et financent des projets problématisés. », précise Isabelle Sayn.

Faire émerger de nouvelles recherches

Parmi les projets sélectionnés dans de précédents appels, l’équipe pluridisciplinaire de Sophie Harnay au laboratoire EconomiX1  étudiera l’impact des mutations institutionnelles, économiques et sociales contemporaines sur la profession d’avocat, la transformation de ses pratiques, représentations et valeurs. Directeur de recherche du CNRS au Centre de théorie et analyse du droit2 , Robert Carvais s’intéresse quant à lui au discours des greffiers des bâtiments au XVIIIe siècle, grâce à l’étude de leurs archives. Une recherche conduite3  avec l’appui de la Mission de recherche Droit et justice a aussi donné lieu récemment à l’ouvrage « Justice en examen », portant sur la perception et les attentes des citoyens vis-à-vis de la justice.

D’autre part, l’Institut produit des études, rédigées à l’issue du travail de groupes de réflexion sur une question précise comme le droit des générations futures, notamment en matière d’environnement. Il fait également rédiger des états des connaissances, par exemple sur la thématique « justice et environnement » ou sur l’application des neurosciences dans le domaine du droit et de la justice. « Les experts et expertes chargés de rédiger ces états des connaissances sont toujours accompagnés par un comité scientifique pour éviter les biais et garantir notre vision particulière pluridisciplinaire et interprofessionnelle. », souligne Isabelle Sayn. Sur le sujet de la corruption, ce travail a permis d’organiser un colloque dédié pour confronter le point de vue des scientifiques et des professionnels de la lutte contre la corruption, afin de faire émerger de nouvelles questions de recherche et de remobiliser les chercheurs et chercheuses sur ce sujet quelque peu délaissé.

Impliquer la société civile

Conformément à la politique du CNRS envers la science ouverte, toutes ces productions sont disponibles en ligne, en complément de notes de synthèse sur les projets soutenus ou encore la rediffusion de rencontres. L’Institut participe aussi à l’élaboration de formations, par exemple avec l'École nationale de la magistrature. Diffuser les connaissances auprès des trois publics de l’IERDJ – les scientifiques, les professionnels du terrain, et les décideurs et institutions – fait ainsi également partie des missions du groupement.

Mais « nous avons l’ambition d’aller plus loin, dans une approche encore plus interdisciplinaire qui intégrerait davantage la société civile », annonce la directrice de l’établissement. L’Institut organise donc des colloques invitant également des représentants de la société civile, comme des associations ou des entreprises. Via ses membres ministériels, il entend « alimenter la réflexion sur les politiques publiques en cours de développement ». Il souhaite enfin inciter les chercheurs et chercheuses à systématiser l’étude du point de vue des citoyens et justiciables. « Le rôle de l’IERDJ est aussi d’ouvrir la recherche sur le monde juridique à d’autres préoccupations, terrains et méthodes. Nous souhaitons explorer toutes les résonnances de ces travaux dans la société. », conclut Valérie Sagant.

  • 1CNRS/Université Paris Nanterre.
  • 2CNRS/Université Paris Nanterre.
  • 3Par la directrice de recherche au CNRS Cécile Vigour et le post-doctorant Bartolomeo Cappellina au Centre Émile-Durkheim (CNRS/IEP Bordeaux/Université de Bordeaux), Laurence Dumoulin, chargée de recherche au CNRS et directrice du laboratoire PACTE (CNRS/Université Grenoble Alpes), et Virginie Gautron, maîtresse de conférences en droit pénal à l’université de Nantes.

Le droit et la justice à l’international

Avec un conseil scientifique international, l’Institut marque un autre axe de son développement, également important pour le CNRS : l’internationalisation de la recherche. S’il a peu d’équivalents dans le monde, l’IERDJ multiplie les partenariats et vient de signer, en mai, une convention avec l’Institut québécois de recherche sur le droit et la justice. Ses financements sont aussi ouverts aux scientifiques étrangers publiant en français et s’intéressant à des sujets d’intérêt pour les acteurs français du domaine. Et l’Institut ouvre ses deux prix de thèse, remis annuellement, dans les mêmes conditions. Créé en 2005, le prix Jean Carbonnier est nommé en l’honneur d’un professeur de droit qui a « beaucoup œuvré pour ouvrir le droit vers les préoccupation de la société, ce qui traduit bien l’esprit de l’Institut », commente Valérie Sagant. Le prix Vendôme – du nom de la place parisienne où se trouve le Siège du ministère de la Justice – distingue chaque année une thèse de droit pénal, de procédure pénale ou de sciences criminelles.