Une Maison pour faire rayonner les mathématiques

Recherche

Le projet d’extension de l’Institut Henri Poincaré, haut lieu des mathématiques, ouvre ses portes : il comprend un musée, la Maison Poincaré, et des espaces pour la recherche. Avec un objectif : créer du lien entre les deux.

2000 m2, un musée, des espaces de recherche, 4 années de travaux, une sculpture d’1,70 m de haut, 20 000 scolaires attendus chaque année… Avec la rénovation et l’aménagement de son nouveau bâtiment Jean Perrin au sein du campus Curie, sur le 5ème arrondissement parisien, l’Institut Henri Poincaré donne une nouvelle dimension à la recherche, mais aussi à la médiation scientifique, en mathématiques.

Ce bâtiment, ancien laboratoire de chimie-physique construit pour le physicien français Jean Perrin, artisan majeur de la création du CNRS, a été inauguré le 27 septembre, en présence de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Sylvie Retailleau, du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Gabriel Attal, de la maire de Paris Anne Hidalgo et de la présidente du Conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse. L’événement s’est tenu sous le haut patronage de président de la République. Le projet avait été lancé en 2011 par l’équipe de direction alors menée par le mathématicien Cédric Villani. « Notre ambition est de participer au dialogue entre les mathématiques et la société. », assure Sylvie Benzoni, directrice de l'Institut Henri Poincaré (IHP) qui porte le projet depuis 2018.

Des expositions variées

Avec 900 m2 dédiés, au rez-de-chaussée et au sous-sol, à la Maison Poincaré, un musée inédit sur les mathématiques et leurs interactions, l’idée est ainsi de « contribuer à sensibiliser tous les publics – grands publics, jeunes, politiques, journalistes, etc. – à l’importance des mathématiques dans les technologies d’aujourd’hui et les questions d’actualité, du développement durable à la gestion des épidémies, en passant par les sciences du climat ». Les mathématiques sont une discipline « multi- et trans-disciplinaire, en lien avec de nombreuses autres disciplines » et représentent « le fleuron de la recherche française », confirme Élodie Cheyrou, responsable de la Maison Poincaré, soulignant ainsi « l’importance du soutien du CNRS au projet ». 

Deux enfants jouant dans une sculpture mathématiques au milieu d'un parc
Dans la cour de la Maison Poincaré, une sculpture d’1.70 m de haut de l’artiste Ulysse Lacoste  permettra aux visiteurs de se nicher au cœur d’une forme mathématique appelée « rulpidon » (photo d’illustration d’une œuvre similaire du même artiste). ©IHP

Ce musée abrite une exposition permanente permettant de découvrir ces interactions dans sept espaces qui illustrent la recherche actuelle en mathématiques. L’exposition s’appuie notamment sur la collection d’objets historiques conservés jusque-là à la bibliothèque de l’IHP. Les dispositifs présentés sont conçus pour être accessibles aux malvoyants (éléments tactiles, fiches d’informations disponibles en français, anglais et braille), aux personnes atteintes de daltonisme (choix des couleurs), le bâtiment étant bien sûr accessible en fauteuil roulant. Parmi ces dispositifs, Holo-Maths propose une expérience interactive immersive et collective en réalité « mixte » – où les objets numériques viennent se surimposer à la réalité et interagissent en temps réel – permettant de visualiser, avec l’aide de médiateurs et médiatrices, des concepts mathématiques comme, dans un premier temps, le mouvement aléatoire de particules dans un fluide dit « mouvement brownien ».

S’y ajoutent des expositions temporaires thématiques – la première portera sur l’intelligence artificielle – ou explorant le champs arts et sciences, notamment sur les périodes accueillant moins de publics scolaires. « Pour notre première exposition arts et sciences, dès mai prochain, nous avons travaillé avec la galerie Wagner pour présenter une sélection d’artistes sculpteurs et plasticiens qui utilisent les mathématiques dans leur art. », dévoile Élodie Cheyrou.

30 000 visiteurs attendus

« Cela créera un espace plaisant à la fois pour les personnes déjà intéressées par les mathématiques, mais aussi pour les jeunes, ce qui, nous l’espérons, pourra les motiver à se lancer dans des études, voire des carrières, mathématiques. », indique Christophe Besse, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions du CNRS. La programmation culturelle et scientifique du musée, notamment les ateliers, vise ainsi en particulier les collégiens à partir de la classe de quatrième. Chaque année, 30 000 visiteurs sont attendus, dont 20 000 scolaires issus pour la moitié de zones prioritaires partout en France.

Une des salles de la Maison Poincaré, on y voit des expériences mathématiques sur des supports couleur bois et le mot "modéliser" est pendu au plafond. Tout est très blanc et propre
Le bâtiment Jean Perrin, inauguré en 1926 et souffrant de contaminations notamment au plomb, à l’amiante et à la radioactivité, a été entièrement rénové et mis aux normes modernes. © CNRS

Le musée aura aussi pour ambition de « sensibiliser le public sur le fait que les mathématiques sont une discipline moderne, qui se réinvente et va au-delà des apprentissages scolaires » – un message qui fait écho à l’Année des mathématiques en 2019-20 et aux Assises des mathématiques menées en 2021-22. Sont donc prévues toutes sortes d’événements visant des publics variés : des rencontres à l’heure du thé pour permettre au public de « participer à l’ambiance créatrice de la recherche en mathématiques » et de la « toucher du doigt » autour d’un tableau et de quelques gâteaux, selon Sylvie Benzoni ; des nocturnes pour sensibiliser les jeunes étudiants et jeunes actifs, des rencontres rassemblant mathématiques et autres disciplines ; des conférences cartes blanches pour que les chercheurs et chercheuses qui accueillent ou participent à la programmation scientifique à l’Institut Henri Poincaré exposent leur sujet auprès du grand public, etc. « Notre approche met la médiation au cœur du musée : les visites guidées sont un vrai plus. », détaille Élodie Cheyrou. Des compétences métier particulières – appuyées par le CNRS avec deux personnels permanents – et une véritable volonté de « mettre le public en contact direct avec des scientifiques ».

Un espace double

En effet, le bâtiment comprend aussi, dans les étages, 1100 m2 réservés aux activités scientifiques de l’Institut Henri Poincaré : séminaires et colloques, accueil de scientifiques français et étrangers avec le programme “Research in Paris”, etc. – des activités qui se développent fortement et pour lesquelles le bâtiment historique Borel, situé juste en face et nommé en hommage au mathématicien Émile Borel, commençait à sembler étroit.

Des mathématiques au visage humain

Un des murs du bureau de Jean Perrin rénové dans le cadre de la Maison Poincaré. Sur un mur et un miroir, de nombreux portraits photos de mathématiciens et mathématiciennes (accompagnés de textes explicatifs). En gros sur le miroir, un immense portrait d'Yvette Cauchois debout, en noir et blanc
© CNRS

« Un choix assumé dès le départ a été de présenter autant de femmes que d’hommes, représentatifs des mathématiciennes et mathématiciens du monde entier. », affirme Sylvie Benzoni. Une galerie de portraits est ainsi installée dans l’ancien bureau de Jean Perrin, qui met notamment en valeur la physicienne et chimiste Yvette Cauchois qui a aussi dirigé le laboratoire de chimie-physique. Dans l’ensemble de la Maison Poincaré, le visiteur pourra rencontrer les visages et histoires d’Emmy Noether, une allemande pionnière, autrice de concepts fondamentaux en physique théorique et en algèbre, qui dut s’exiler aux États-Unis face au régime nazi ; d’Alan Turing, un anglais fondateur de l’informatique théorique, qui contribua de façon cruciale au renseignement britannique pendant la seconde Guerre mondiale mais fut condamné à un traitement inhumain par la justice en raison de son homosexualité ; de Srinivasa Ramanujan, un indien quasiment autodidacte qui passa quelques années en Angleterre et dont les intuitions fulgurantes ont été considérables en analyse et en théorie des nombres ; ou encore Maryam Mirzakhani, une iranienne, décédée d’un cancer à seulement 40 ans, dont le parcours brillant et les contributions exceptionnelles en géométrie complexe lui valurent la médaille Fields en 2014 – elle fut la première femme à obtenir cette prestigieuse récompense du domaine.

L’IHP représente ainsi l’un des lieux importants de rencontres mathématiques pour le CNRS, avec le Centre international de rencontres mathématiques (CIRM) à Marseille. Il est soutenu de longue date par le CNRS, avec une douzaine de personnels permanents pour un budget entre 1 et 1,2 million d’euros par an. L'organisme a aussi contribué au projet de rénovation du bâtiment à hauteur d’un million d’euros1 . « Les rencontres sont fondamentales pour la recherche en mathématiques, et notamment à l’IHP, institut reconnu par les mathématiciennes et mathématiciens de France et du monde entier. », raconte Christophe Besse, évoquant les nombreux espaces de discussion et d’interaction « plus grands et plus agréables » que propose le nouveau bâtiment Perrin. « La Maison Poincaré va permettre au grand public de se mêler à cet environnement scientifique de haut niveau et de découvrir les mathématiques en train de se faire. », ajoute le directeur.

Rares sont en effet les musées adressés au grand public et dédiés à la culture mathématique, comme le National Museum of Mathematics (Momath) à New-York ou le Mathematikum à Giessen en Allemagne, et ce d’autant plus adossés à un espace de recherche. « Avec cet espace muséal inédit, la Maison Poincaré fera rayonner la France au niveau mondial. », assure Christophe Besse qui souhaite que le lieu devienne à terme « un incontournable pour les voyageurs de passage à Paris ».

« C’était un projet enthousiasmant et un peu pharaonique, qu’il a fallu construire de toute pièce. Après m’y être investie pendant cinq années, je suis fière de le voir se concrétiser. », conclut Sylvie Benzoni : « J’ai hâte de voir le public s’y rendre. »

  • 1Ce projet, rendu possible par la mise à disposition du bâtiment par Sorbonne Université, est financé par le CNRS, l'État français, la région Île-de-France et la Ville de Paris dans le cadre du Contrat État plan région (CPER), avec le soutien du laboratoire d’excellence CARMIN et des entreprises du Fonds de dotation de l’IHP. Le laboratoire d'excellence CARMIN (Centres d'accueil et de rencontres mathématiques internationales) fédère les quatre instituts français de mathématiques à vocation nationale et internationale : Institut Henri-Poincaré (IHP), Institut des hautes études scientifiques (IHES), Centre international de rencontres mathématiques (CIRM), Centre international de mathématiques pures et appliquées (CIMPA).