Valoriser les interactions lumière-matière

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Le programme et équipements prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire LUMA – piloté par le CNRS et le CEA – vise à comprendre, façonner et exploiter la lumière pour contrôler des systèmes physico-chimiques et biologiques et ouvrir la voie à de nouvelles technologies vertes. Il est doté d’un budget de 40,38 millions d’euros sur 6 ans. Entretien avec Rémi Métivier, directeur du programme pour le CNRS.

Le PEPR LUMA - que vous coordonnez avec Catalin Miron (pour le CEA) – veut valoriser les interactions entre la lumière et la matière. Quelles avancées soutiennent l’intérêt d’un programme dédié à ce sujet ?

Rémi Métivier1  : Des technologies variées utilisent déjà la lumière dans notre vie quotidienne : les panneaux solaires, les systèmes d’éclairage, d’affichage ou de stockage de données. Les applications sont toutefois peu nombreuses et sont essentiellement basées sur des matériaux semi-conducteurs inorganiques qui présentent des efficacités limitées ou des problèmes de durabilité. Or, deux révolutions scientifiques et techniques majeures, survenues ces dernières années, offrent de nouvelles perspectives quant à l’utilisation de la lumière.

La première tient à son contrôle. Nous avons accès à des sources lumineuses très performantes, notamment avec des lasers à impulsions ultra-courtes (femtoseconde ou attoseconde)2 . On observe également l’arrivée de sources de lumière portables avec des microlasers et des diodes électroluminescentes qui consomment peu d’énergie. Deuxièmement, les communautés de chimistes, de biologistes et de physiciens et physiciennes maîtrisent beaucoup mieux la conception et l’assemblage complexe de molécules aux propriétés complémentaires. Cela permet de développer des matériaux organiques et hybrides de nouvelle génération, capables de capturer et d’utiliser la lumière de façon intelligente et performante.

Quels sont les objectifs du PEPR ?

R. M : La France est placée au meilleur niveau international sur les thématiques en lien avec les interactions lumière-matière. Toutefois, nous avons noté un déficit d’investissements financiers, l’absence d’une structuration nationale, ainsi que de faibles liens entre académiques et industriels. Ce PEPR vise à combler ces manques. Nous allons donc promouvoir une science aux frontières en réunissant la physique, la chimie, l’ingénierie, les sciences de la vie, la santé, les sciences du patrimoine et de l’environnement. Nous sommes convaincus que cette pluridisciplinarité est nécessaire pour faciliter le transfert de nos résultats vers la société et le monde économique.

Nous allons donc viser plusieurs enjeux sociétaux majeurs auxquels les interactions lumière-matière et les technologies afférentes peuvent répondre. Nous allons également développer et structurer un réseau national de plateformes expérimentales auquel l’ensemble de la communauté scientifique nationale aura accès. Enfin, la modélisation multi-échelles jouera un rôle clé pour simuler les phénomènes les plus fondamentaux à l’échelle moléculaire ou optimiser la conception de photoréacteurs dédiés à l’exploitation industrielle de la lumière.

Quels enjeux de société sont au cœur du PEPR ?

R. M : Nous avons ciblé quatre thématiques majeures à fort enjeux sociétaux, économiques et techniques. En plus de capter l’énergie du soleil, l’idée est de la transformer en énergie chimique exploitable pour la société comme les carburants dits solaires, facilement stockables et utilisables à la demande. Nous misons, pour cela, sur des systèmes hybrides impliquant des composants naturels (photosynthétiques) et artificiels.

Nous ciblons également des applications en santé dont l’enjeu sera de diagnostiquer et de soigner grâce à la lumière. La maîtrise spatio-temporelle de la lumière, c’est-à-dire l’apport extrêmement précis de photons sur la zone à traiter, favorise l’émergence de nouvelles photothérapies pour lutter contre le cancer par exemple. Beaucoup de recherches sont en cours sur le sujet. Le PEPR va leur donner une impulsion supplémentaire afin d’étendre le spectre des applications pratiques et de soutenir les tests cliniques.

Un autre axe porte sur le développement de technologies vertes pour une industrie propre. En effet, grâce à la lumière, nous pouvons stimuler des réactions, façonner la matière, et ainsi produire des composants ou des substances chimiques générant moins de déchets. Des lasers à impulsions ultra-courtes peuvent également servir à structurer des assemblages moléculaires ou des nanomatériaux aux propriétés optiques inédites.

Un dernier enjeu sera de comprendre les interactions lumière-matière en termes de chiralité, c’est-à-dire le fait que certaines molécules issues de la nature ne sont pas superposables à leur image miroir. Comment faire émerger la chiralité grâce à la lumière ? Comment les molécules chirales répondent-elles à la lumière ? De nouvelles instrumentations de pointe nous permettront de façonner les faisceaux de lumière et la matière afin d’atteindre de nouveaux paradigmes quant à l’étude des éléments constitutifs de la vie et sources de matériaux originaux.

Que permettront les plateformes instrumentales ?

R. M : Nous voulons faciliter l’accès aux plateformes. Cela ne signifie pas seulement les ouvrir à davantage de communautés, mais aussi affiner l’intérêt des instruments disponibles, les expériences possibles et enfin promouvoir largement ces potentiels auprès des scientifiques et des industriels qui pourraient en bénéficier. Les plateformes seront donc des lieux de rencontre entre les spécialistes des instruments et les utilisateurs. Leurs interactions seront à l’origine de nouveaux développements instrumentaux en vue de répondre à des besoins particuliers tout au long du PEPR.

Il sera également nécessaire de développer des instruments uniques en France pour les placer à la pointe technologique mondiale. C’est le cas, par exemple, des spectroscopies permettant des résolutions temporelles ultimes (femtoseconde et attoseconde). Nous souhaitons également aller au-delà des usages conventionnels de certains instruments très performants d’analyse chimique ou structurale, en les adaptant aux études de systèmes en fonctionnement sous impulsions laser et aux analyses de prototypes de grande taille sous illumination.

Comment le PEPR compte-t-il renforcer le leadership Français sur la thématique des interactions lumière-matière ?

R. M : Les grands programmes scientifiques à l’étranger sont généralement disciplinaires ou restreints à des thématiques resserrées. Notre PEPR se démarque en étant un programme national qui porte à la fois sur des questions instrumentales et sur des enjeux de recherche prioritaires pluridisciplinaires. Réunir en un seul programme ce qui est disséminé dans des projets distincts devrait placer la France au premier rang mondial sur ce sujet.

D’autant que les différentes communautés qui travaillent sur les interactions lumière-matière ont beaucoup de problématiques communes, telles que les questions de photo-stabilité ou de photovieillissement (la dégradation d’objets sous l’effet de la lumière). Ce problème intéresse autant les ingénieurs qui cherchent à rendre durables les matériaux qu’ils conçoivent (ou au contraire les rendre photodégradables), que les chimistes qui travaillent sur la conservation d’objets du patrimoine ou encore les biologistes qui s’interrogent sur la façon dont la lumière peut détériorer notre ADN et générer des cancers. Selon nous, il est clair que la France aura beaucoup à gagner à croiser les savoirs et les disciplines pour répondre à de nombreuses questions fondamentales.

  • 1Chimiste au laboratoire Photophysique et Photochimie Supramoléculaires et Macromoléculaires (CNRS/ENS Paris-Saclay).
  • 21 femtoseconde = 10^−15 seconde et 1 attoseconde = 10^−18 seconde.