« Avec les mathématiques, la France dispose d’un atout fort d’innovation et compétitivité »

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2022 est une année riche pour les mathématiques françaises et mondiales. Congrès international des mathématiciens en juillet, Assises françaises des mathématiques de mars à novembre, livre blanc : Christophe Besse, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi), fait le point.

En 2022, l’Insmi organise les Assises des mathématiques, en partenariat avec le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Quels en sont les objectifs ?

Christophe Besse1  : Ces Assises sont un rendez-vous pour tout le paysage mathématique, afin de réfléchir au futur de la discipline, les mathématiques ayant un impact majeur sur le monde socio-économique. La révolution numérique est maintenant bien avancée et il est nécessaire de prendre un temps de réflexion sur cette évolution et ses conséquences : le pays est-il suffisamment armé en mathématiques, avec suffisamment d’ingénieurs et techniciens bien formés et une recherche bien organisée, pour en tirer le plein profit ? peut-on anticiper les besoins futurs en mathématiques ?

Avec ces Assises, l’Insmi joue son rôle d’animation de la communauté soudée des mathématiciens et mathématiciennes : nous avons ainsi sollicité tous nos partenaires, dont les sociétés savantes comme la Société mathématique de France qui vient de fêter ses 150 ans, France Universités, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), les autres organismes de recherche comme le CEA, Inrae ou Inria. Nous proposons notamment à la communauté mathématique plusieurs défis, pour qu’elle puisse faire remonter ses propositions par exemple sur les dix défis du plan France 20302 .

Ces Assises s’appuient notamment sur une étude de l’impact socio-économique des mathématiques. Comment s’organisent-elles ?

C. B. : Les Assises se déroulent en trois temps. Une évaluation de l’impact des mathématiques sur le PIB et les emplois en France est en cours de rédaction. Elle actualisera un rapport de 2015 qui a révélé que 15 % du PIB français était alors impacté par les mathématiques. Ses conclusions seront présentées au cours du printemps 2022.

Le second temps a été lancé la semaine dernière : sept groupes de travail feront se rencontrer les mathématiciens et mathématiciennes, les autres disciplines de recherche et un ensemble d’acteurs du monde socio-économique pour faire un diagnostic et des propositions sur un ensemble de sujets liés aux mathématiques, en comparant ce qui se fait en France et dans les autres pays où les mathématiques sont développées. Ils aborderont par exemple l’impact des mathématiques sur la société, notamment sur le développement économique de la compétitivité et de l’innovation, mais aussi les carrières, académiques et dans les entreprises de toute taille.

Leurs propositions seront discutées lors des journées des Assises, trois jours de tables rondes organisées du 14 au 16 novembre. Un livre blanc rassemblera l’ensemble de ces discussions et nous espérons qu’il pourra éclairer les décideurs, à l’image du plan national lancé au Royaume-Uni.

Pourquoi la France doit-elle soutenir les mathématiques ?

C. B. : Avec les mathématiques, la France dispose d’un atout fort d’innovation et compétitivité. À l’instar d’autres pays, comme le Royaume-Uni, la Corée du Sud ou la Chine, elle doit amplifier son investissement pour ne pas perdre cet atout. De son côté, la communauté de recherche doit trouver les leviers pour augmenter ses forces en préservant la forte cohésion nationale qui fait sa spécificité, dans un cadre qui tend à mettre l’ensemble des acteurs en compétition.

Quelle sera la place de l’enseignement des mathématiques lors des Assises ?

C. B. : Les Assises aborderont la place des mathématiques dans l’enseignement supérieur, les liens entre le secondaire et le supérieur, ou encore le rôle des chercheurs, chercheuses et enseignants-chercheurs, enseignantes-chercheuses dans la formation continue, du personnel enseignant comme des entreprises. La formation par la recherche, le doctorat et ses débouchés sont aussi un point important qui sera abordé. Nous interrogerons la place des docteurs mais aussi de tous les diplômés de mathématiques dans l’entreprise et l’administration. Aborder un problème difficile, dont la solution n’est pas connue et dont on ne sait pas s’il a une solution, apporte des compétences qui ne sont pas que techniques et qu’il faut mettre en avant.

Même si la communauté des mathématiciens est très impliquée dans les réflexions sur l’enseignement primaire et secondaire, la façon dont l’enseignement des mathématiques doit y être organisé n’est pas du ressort des Assises des mathématiques. En revanche, nous espérons que les personnes qui ont cette importante charge trouveront intérêt à étudier les conclusions des Assises pour organiser au mieux l’enseignement de la discipline, participant ainsi au réinvestissement de la France en mathématiques.

Un autre événement important de l’année est le Congrès international des mathématiciens (ICM) qui devait avoir lieu à Saint-Pétersbourg du 6 au 14 juillet. Mais la guerre en Ukraine en a bousculé l’organisation…

C. B. : L’ICM est le congrès incontournable des mathématiques mondiales. Il est organisé tous les 4 ans, en lien avec l’International Mathematical Union (IMU), et y sont remis notamment les médailles Fields, l’une des deux plus prestigieuses récompenses en mathématiques avec le prix Abel. Même si c’est un événement très important pour la communauté française et internationale, nous ne pouvions pas cautionner son organisation à Saint-Pétersbourg, face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et avions déclaré que nous n’y enverrions pas de délégation française. Étant donné l’importance de la rencontre, il a finalement été décidé de l’organiser de manière virtuelle, sur les mêmes dates, ce qui permet notre participation. Seuls deux événements auront lieu en présentiel, à Helsinki : l’Assemblée générale de l’IMU qui s’organise avant chaque ICM et la remise des médailles Fields et des autres prix remis à cette occasion qui aura lieu le 5 juillet.

  • 1Professeur des universités depuis 2005, Christophe Besse est spécialiste des équations aux dérivées partielles et d’analyse numérique. Il a été directeur du laboratoire Paul Painlevé (CNRS/Université de Lille) de 2010 à 2013 puis directeur du LabEx « Centre international de mathématiques et d’informatique de Toulouse ». Il a été élu au conseil scientifique de l’Insmi en 2019 et a pris la tête de l’Institut en août 2021.
  • 2Le plan France2030 suit 10 objectifs pour « mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire en France à l’horizon 2030 » : Faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets ; Devenir leader de l’hydrogène vert ; Décarboner notre industrie ; Produire plus de 2 millions de véhicules électriques et hybrides ; Produire le premier avion bas-carbone ; Investir dans une alimentation saine, durable et traçable ; Produire 20 biomédicaments contre les cancers, les maladies chroniques dont celles liées à l'âge et créer les dispositifs médicaux de demain ; Placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs ; Prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale ; Investir dans le champ des fonds marins.