Décès de Jean-Yves Marzin, bâtisseur des nanotechnologies en France

CNRS

Pendant une quarantaine d’années, Jean-Yves Marzin a œuvré à la structuration française des nanosciences, du Laboratoire de Microstructures et de Microélectronique jusqu’à la tête de l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes du CNRS (aujourd'hui CNRS Ingénierie).

« C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de Jean-Yves Marzin qui a dirigé l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis) du CNRS pendant 9 ans. Nous n’oublierons pas ses talents de visionnaire et de bâtisseur, qu’il a mis tout au long de sa carrière au service de la physique et de l’ingénierie. Son profond engagement pour l’intérêt commun allié à son intelligence vive en ont fait une personnalité marquante pour notre organisme ». C’est par ces mots que Lionel Buchaillot, actuel directeur de CNRS Ingénierie, rend hommage à son prédécesseur, décédé le 29 novembre 2023.

Des télécommunications aux nanotechnologies

Visionnaire, Jean-Yves Marzin l’a été dès ses études universitaires. Après être passé par l’École Polytechnique puis l’École nationale supérieure des télécommunications, ce natif d’Angers effectue le DEA de physique des solides de l’université Paris-VII/Paris-XI puis un doctorat ès Sciences sur les « Effets des déformations sur les propriétés optiques des super-réseaux contraints à base de semi-conducteurs III-V » qu’il soutient à l'université Paris-VII le 16 octobre 1987.

Quelques années avant l’obtention de son doctorat, Jean-Yves Marzin intègre le Centre national d’études des télécommunications (CNET) à Bagneux. Il y anime tout d’abord le groupe "Optique, Physique et Microstructures" puis dirige en 1994 le département "Dispositifs Quantiques Optiques". Jeune physicien passionné, il réalise des expériences pionnières sur les boîtes quantiques semi-conductrices, de véritables atomes artificiels capables d’émettre les photons un par un. Ces travaux extraordinaires sont toujours exploités aujourd’hui dans le développement des technologies quantiques.

En 1996, il rejoint le CNRS en qualité de directeur de recherche pour prendre la direction d’une unité propre du CNRS, le Laboratoire de Microstructures et de Microélectronique (L2M), qui hébergeait la toute première centrale de micro-nanotechnologie du CNRS. Sentant émerger un nouveau domaine de recherche, l’ancien spécialiste des télécommunications se tourne vers les nanotechnologies.

Une expérience d'optique menée au LPN
Une expérience d'optique menée au LPN© Cyril FRESILLON/CNRS Images

Un bâtisseur des nanosciences en France

En 1997, le CNRS décide de créer sur le site d’Alcatel à Marcoussis (Essonne) une nouvelle unité propre, le Laboratoire de Photonique et de Nanostructures (LPN), en fusionnant les forces de recherche en télécommunications du CNET avec celles du L2M. Durant son mandat au L2M, Jean-Yves Marzin révèle ses talents de bâtisseur et contribue à la création du futur laboratoire en pilotant le projet immobilier (construction, entre autres, de 1 000 m2 de salles blanches) et son déménagement, et assure la direction du LPN à Marcoussis de sa création en 2001 jusqu’en 2011.

En parallèle à cette activité de direction d’unité, pionnière dans le domaine des nanotechnologies, Jean-Yves Marzin s’implique fortement à partir de 2002 dans la structuration de ce champ d’activités au plan national et européen. Il rejoint ainsi successivement la direction du programme interdisciplinaire de recherches « nanosciences-nanotechnologies » du CNRS, le comité de coordination du programme national « nano » associant le ministère de la recherche, le CNRS et le CEA puis la présidence du comité d’évaluation du programme « blanc » nano de l’ANR. Il œuvre à la mise en place du programme Recherche technologique de base de l’ANR entre le CEA et le CNRS, prémices du réseau académique français de micro-nanofabrication Renatech, ainsi qu’à la création des six groupements de recherche C’Nano. Il s’investit également fortement dans le montage du Réseau thématique de recherche avancée « Triangle de la physique » et du Labex NanoSaclay.

En 2006, suite à la vente par Alcatel de son site de Marcoussis, c’est l’occasion pour le LPN de changer d’envergure en devenant une référence nationale en matière de nanosciences et nanotechnologies. En 2007, suite à l’intense travail de Jean-Yves Marzin pour convaincre ses tutelles, les présidences du CNRS et de l’Université Paris-Sud décident de fusionner le LPN et l’Institut d’Électronique Fondamentale (IEF) d’Orsay et de les localiser sur le plateau de Saclay, au voisinage de l’École Polytechnique, pour en faire le plus grand centre académique national de nanosciences et de nanotechnologies. Jean-Yves Marzin, aux côtés des directions successives de l’IEF, s’investit sans relâche dans le projet C2N en en définissant son projet scientifique dès 2009, en l’inscrivant dans les nouveaux outils des investissements d’avenir (Labex NanoSaclay, plan NanoInnov, Idex Saclay…), en défendant son financement (96 M€ au total), et en échangeant avec tous les partenaires concernés (CEA, ONERA, École Polytechnique, Université Paris-Saclay). C’est ainsi qu’est officiellement créé le  Centre de Nanosciences et Nanotechnologies (C2N) le 1er juin 2016, qui s’installe en 2018 dans son nouveau bâtiment au cœur du Campus Paris-Saclay. Le C2N héberge aujourd’hui la plus grande centrale académique de micro-nanofabrication (2 900 m2) et des activités scientifiques de tout premier plan dans les domaines de la science des matériaux, des nanotechnologies, de la nano-photonique, de la nano-électronique, des nano-biotechnologies et microsystèmes.

Caractérisation optoélectronique d'une cellule photovoltaïque au C2N
Caractérisation optoélectronique d'une cellule photovoltaïque au C2N© Cyril FRESILLON / C2N / CNRS Images

Représenter le CNRS en France et à l’étranger

En complément de ces années passées à la construction scientifique et à la direction de laboratoires, Jean-Yves Marzin participe à la vie organisationnelle de l’établissement, à travers de nombreuses instances : jurys de concours, groupes de travail divers, présidence de comités d’évaluation d’unités…  C’est donc tout naturellement qu’il est nommé le 17 février 2013 directeur de l’Insis, qu’il dirige jusqu’à son départ à la retraite en 2022. Outre l’animation de la communauté scientifique de son institut, le directeur de l’Insis représente le CNRS auprès de ses partenaires, en tant que membre de différents conseils scientifiques (ENSAM, CentraleSupélec…) ou comme directeur scientifique référent d’Aix-Marseille Université, des Universités Côte d’Azur et Centre-Limousin-Poitou Charente puis de Sorbonne Université et HESAM.

Fort de sa capacité à construire des réseaux, Jean-Yves Marzin s’investit enfin pleinement dans le lancement en 2019 à Singapour de CNRS@Create, la première filiale du CNRS à l’étranger. À la fois opérateur de programmes et lieu de construction de collaborations de recherche intégrés au Campus for Research Excellence and Technological Entreprise (CREATE) de l’agence de financement de la recherche de Singapour, cette première filiale du CNRS s’inscrit au cœur de la nouvelle stratégie internationale de l’établissement. Lors de son inauguration, Jean-Yves Marzin imaginait déjà que « les programmes de recherche de CREATE, basés sur l’excellence scientifique et sur les priorités de recherche de Singapour, pourr[aie]nt être menés en partenariat avec le tissu industriel français à Singapour puisque la grande majorité des groupes français ont des filiales singapouriennes ».

De l’ancien directeur de l’Insis, Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, garde en mémoire « un collègue sympathique et chaleureux avec lequel il était agréable d’avoir des échanges sur des sujets scientifiques… ou pas. Jean-Yves était aussi un bâtisseur, un visionnaire avec un intérêt du collectif, et du CNRS, toujours omniprésent. Il a joué un rôle essentiel dans le développement de l’Insis et aussi de relations constructives avec les autres instituts et d’interactions fructueuses entre le monde académique et le monde industriel. Le CNRS lui doit beaucoup. Et sur le plan humain, je suis très triste de perdre un ami professionnel avec lequel j’avais commencé à travailler il y a 20 ans, déjà au sein du comité de direction du CNRS ».

Portrait de Jean-Yves Marzin, alors directeur de l'Insis
Portrait de Jean-Yves Marzin, alors directeur de l'Insis© Frédérique PLAS / CNRS Images