Le PEPR Quantique démarre

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Le 4 mars, lors du lancement du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Quantique, 10 projets ciblés ont été annoncés. Le point sur les ambitions du programme, doté d’un montant de 150 M€, avec Sébastien Tanzilli, pilote du PEPR pour le CNRS.

Le PEPR Quantique est lancé. Quels en sont les enjeux et ambitions ?

Sébastien Tanzilli1  : Le Programme et équipements prioritaires de recherche « Quantique » représente la partie amont de la stratégie nationale d’accélération dédiée aux technologies quantiques annoncée en janvier 2021. Ces stratégies, décidées par l’État dans le cadre du plan de relance France 2030, doivent relever les défis économiques, sociétaux, numériques et environnementaux d’aujourd’hui et de demain avec des actions en faveur de l’industrie, la recherche et la formation. Le PEPR Quantique est de type « accélération » et il vise à soutenir les efforts de recherche depuis la recherche fondamentale à la preuve de concept (TRL2  1 à 4 environ).

Le PEPR Quantique est copiloté par le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) – avec qui le CNRS pilote également le PEPR Cybersécurité et des PEPR exploratoires –, avec un montant important de 150 M€ sur 5 ans. L’État se saisit fortement de la problématique du développement des technologies quantiques pour des questions de souveraineté nationale et européenne : il s’agit d’être au plus haut niveau de la compétition scientifique et industrielle internationale, mais surtout de permettre à la France et à l’Europe de disposer de ses propres solutions pour garantir leur indépendance dans ce domaine clé.

Le 4 mars, vous avez annoncé les 10 projets ciblés en priorité par le PEPR. Quels sont-ils ?

S. T. : L’État a confié le pilotage du PEPR Quantique aux trois organismes de recherche nationaux, capables de mener une stratégie scientifique et technologique efficace, ce qui suppose de faire des choix. Suite à une large consultation de la communauté initiée dès 2019 par la Mission parlementaire Paula Forteza, quatre grands axes ont été fixés par le l’État3 , autour des qubits4  à l’état solide pour le calcul quantique, des qubits à atomes froids pour le calcul et les capteurs, des algorithmes quantiques, et enfin de la communication quantique incluant la frontière de la calculabilité. Par ailleurs, le PEPR est structuré selon deux volets de financement complémentaires : l’un met en avant des projets ciblés pour une mise en œuvre efficace et rapide de l’accélération souhaitée, l’autre fera remonter les besoins des communautés via des appels à projets sur les concepts en rupture.

Dans ce cadre, les pilotes ont identifié des consortiums pour mener à bien 10 projets, en cours de contractualisation par l’Agence nationale de la recherche (ANR) : ils couvrent des sujets variés, mais dont la complémentarité garantit une cohérence globale remarquable du programme : il est question de codes correcteurs d’erreur, de qubits supraconducteurs, en passant par des capteurs de type gravimètres ou la communication quantique au sein de réseaux opérationnels (voir encadré).

Antoine Petit au kick off event du PEPR Quantique
Le PDG du CNRS, Antoine Petit, était présent à l'événement de lancement du PEPR Quantique, en compagnie des dirigeants du CEA et d'Inria © IHP

Le PEPR finance également deux équipements structurants Equipex+ : aQCess, piloté par l'université de Strasbourg, qui propose une plateforme de calcul quantique à base d’atomes froids en tant que service, et e-DIAMANT, piloté par l'École normale supérieure Paris-Saclay et fortement couplé à l’industrie, dont l’ambition est de devenir un fournisseur de diamant de premier plan pour les applications quantiques en développant l’ensemble de la chaîne, depuis le matériau jusqu’au dispositif.

D’autres équipes et consortiums seront-ils soutenus ?

S. T. : Bien sûr. C’est le rôle des appels à projets qui seront lancés dans le cadre du PEPR. Un premier est déjà ouvert avec l’ANR, jusqu’au 29 mars, sur le thème du « calcul quantique au vol ». L’objectif est de financer spécifiquement des projets qui relèvent de la photonique et de l’électronique, voies complémentaires à celles reposant sur les qubits à l’état solide ou à atomes froids. D’autres appels plus génériques relevant des concepts en rupture et sur les talents seront ouverts au cours du printemps.

  • 1Sébastien Tanzilli est directeur de recherche CNRS à l'Institut de physique de Nice (CNRS/Université Côte d'Azur) et directeur adjoint scientifique pour la physique et les technologies quantiques à l’Institut de physique du CNRS. Il est pilote du PEPR Quantique pour le CNRS.
  • 2Technology Readiness Levels, mesurant le niveau de maturité technologique d’un système, allant de 1 (principes de base observés et rapportés) à 9 (application réelle de la technologie sous sa forme finale et en conditions de mission).
  • 3Plus précisément, par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), administration française placée sous l'autorité du Premier ministre.
  • 4À l’image d'un bit classique dont les deux états sont exclusivement 0 ou 1, le bit quantique ou qubit est l'unité élémentaire servant d’unité logique d’information quantique. Contrairement au bit classique, le qubit exploite le principe de la superposition d'états pour coder « à la fois » les états 0 et 1.

PEPR Quantique : 10 projets ciblés

Dix grands projets ont été identifiés, portant sur les quatre axes du PEPR Quantique. D’une durée de 5 à 6 ans, ces projets sont portés par des équipes de scientifiques reconnues à l’international et visent des objectifs dépassant significativement l’état de l’art actuel.

Dans le domaine des qubits robustes à l’état solide pour le calcul quantique, deux projets ont été retenus pour leur potentiel vis-à-vis du développement de calculateurs quantiques à grande échelle. Ayant accès à une plateforme technologique de premier rang mondial, le projet PRESQUILE a comme objectif de contribuer à identifier et lever les verrous scientifiques et technologiques de l’intégration des qubits de spin dans les technologies CMOS bien établies1 . Le projet RobustSuperQ vise à accélérer la R&D française sur les qubits supraconducteurs et hybrides protégés par construction contre la décohérence, un phénomène qui rend les qubits illisibles et crée des erreurs aléatoires : en 5 ans, le projet devrait démontrer un processeur quantique haute-fidélité pilotable et mesurable, qui n’existe encore sur aucune plateforme (optique, atomique ou à l’état solide).

Dans le domaine des qubits à atomes froids pour le calcul et les capteurs quantiques, le projet QubitAF vise à améliorer les plateformes à atomes froids pour la simulation quantique, en augmentant le nombre d’atomes manipulés, en certifiant les résultats et en précisant les performances de ces plateformes. Le projet QAFCA cherche à développer des capteurs à atomes froids compacts et transportables pour mesurer le champ de pesanteur, avec des applications dans l’analyse du changement climatique et l’anticipation des catastrophes naturelles, voire le génie-civil ou le stockage du CO2.

Dans le domaine des codes correcteurs d’erreur, des algorithmes quantiques et de la cryptographie post-quantique, le projet NISQ2LSQ étudiera de manière approfondie différentes stratégies de correction des erreurs aléatoires induites par l’aspect quantique des qubits. Des codes de correction devraient être testés expérimentalement sur des plateformes supraconductrices et photoniques. D’autre part, le projet EpiQ étudiera l’ensemble des briques logicielles nécessaires au bon fonctionnement d’un processeur quantique (compilation, manipulations, optimisation, langages intermédiaires, certification, etc.), afin d’identifier les contraintes et de mieux simuler les machines actuelles, pour développer de nouveaux algorithmes permettant de dépasser les capacités d’aujourd’hui dans des domaines comme l’apprentissage machine (Machine Learning), l’optimisation ou la chimie. Le projet PQ-TLS développe, quant à lui, de nouveaux schémas de chiffrement et signature, basés sur une multitude d’approches, pour faire passer la cryptographie à l’ère post-quantique, c’est-à-dire rendre les protocoles résistants aux attaques d’un ordinateur quantique.

Dans le domaine de la communication quantique, le projet DIQKD s’intéresse à la distribution quantique de clés de type « boîte noire », solution prometteuse mais exigeante en termes de développements expérimentaux et théoriques, qui permet de garantir la sécurité de communications même lorsque les appareils employés ne sont que partiellement caractérisés. Le projet QMemo vise à optimiser les performances des mémoires quantiques, éléments cruciaux pour déployer des réseaux quantiques sur de longue distance, car elles connectent les sous-segments divisant la distance globale, comme des répéteurs quantiques. Enfin, le projet QCommTestbed veut doter la France d’une plateforme d’essais coordonnée à échelle nationale, utilisée pour des démonstrations d’applications de communication quantique via une montée TRL  progressive, allant ainsi des systèmes de laboratoire aux produits commerciaux.

  • 1L’état quantique du qubit est ici inscrite dans le spin – une information assimilable à l’orientation magnétique – d’un électron individuel d’un atome piégé dans une structure semi-conductrice.