Prélèvements d'échantillons pour l'étude de la Douve en Camargue © Jean R. Roché

Défi Santé et environnement : focus sur la future Zone Atelier Camargue

CNRS

Largement façonnée par l’homme, la Camargue deviendra une prochaine Zone Atelier du CNRS dans le cadre des six grands défis sociétaux du CNRS.

Le défi Santé et environnement – qui fait partie des six défis délimités par le Contrat d’objectifs et de performance du CNRS (COP) (voir encadré) - s’appuie sur le développement d’observatoires interdisciplinaires dans des lieux stratégiques pour étudier des enjeux de santé. Leur objectif : permettre d'observer l'émergence et documenter les situations à risque en mobilisant les expertises disciplinaires du CNRS – de l’écologie et des sciences de l’environnement à l’économie, la géographie, la sociologie en passant par les sciences de l’information, la modélisation et les sciences de l’ingénierie. Quatre sites sont actuellement délimités : le territoire Seine, l’International Research Laboratory1  Environnement Santé et Société à Dakar, l’IRL iGLOBES en Arizona et la future Zone Atelier2  Santé-Environnement en Camargue.

  • 1Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 2Constituées en réseau, les zones ateliers ont comme problématique de recherche, de décrire, comprendre et prédire la réponse des socio-écosystèmes au changement global, pour formaliser et théoriser leur fonctionnement, et aider ainsi à leur gestion et à leur gouvernance.

Les six défis du COP

Le CNRS a inscrit dans son COP 2019-2023 six défis auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et que l’organisme souhaite éclairer de manière déterminante dans les prochaines années, via une mobilisation coordonnée de ses dix instituts. Des défis complexes qui ont été révélés ou sont portés par les sciences, comme le changement climatique et l’intelligence artificielle, ou qui peuvent être éclairés par celles-ci, comme la transition énergétique. Dans un dialogue inter-institut coordonné par la direction générale déléguée à la science, des groupes de travail dédiés ont identifié les actions et projets déjà menés au sein des laboratoires sur les six défis sociétaux sélectionnés.

Les six défis :

  • Changement climatique 
  • Inégalités éducatives
  • Intelligence artificielle 
  • Santé et environnement 
  • Territoires du futur 
  • Transition énergétique  

Un milieu transformé par l’homme

La future Zone Atelier (ZA) Santé-Environnement en Camargue couvre le grand delta du Rhône allant de la ville d’Arles jusqu’au golf de Fos-sur-Mer et celui d’Aigues-Mortes. C’est un « territoire qui a été façonné par l’homme depuis plusieurs siècles », décrit Frédéric Thomas, chercheur en biologie évolutive au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle1  et membre de l’équipe ZA Santé-Environnement en Camargue. Le delta propose un paysage impressionnant où les étangs et les lagunes accueillent une faune et une flore exceptionnelles. Pourtant, les bras du fleuve sont endigués, les espaces côtiers urbanisés le tout entrainant un fonctionnement du delta perturbé. « Cette zone est un ‘hotspot’ de la biodiversité soumis aux pressions anthropiques avec les apports du Rhône, les activités agricoles et industrielles, le tourisme, etc. Elle subit par ailleurs les conséquences du réchauffement climatique. De par sa concentration d’activités et de biodiversité, c’est un lieu stratégique pour étudier des scénarios de transfert de virus de l’animal vers l’homme, de toxicologie par élément polluant ou même d’écoanxiété2  face à la salinisation des sols et au risque de submersion », ajoute Delphine Destoumieux-Garzón, chercheuse au laboratoire Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements3 .

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Chercheurs de la Tour Valat manipulant un Goeland © Tour du Valat

Le lancement de la ZA Santé-environnement en Camargue – qui a débuté l’année dernière - a notamment été facilité par une collaboration de longue date entre le CNRS et la Tour du Valat, centre de recherche pour la conservation des zones humides, situé au cœur de la Camargue. De ces collaborations est né un observatoire en écologie de la santé qui depuis évolue vers une ZA notamment grâce aux financements de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS (MITI) qui a permis de lancer trois projets interdisciplinaires respectivement sur les thématiques des virus chez la chauve-souris, des moustiques et de la détection d’arbovirus4 , et de l’impact anthropique sur la dynamique de transmission des trématodes5 .

Une ZA Santé-Environnement en Camargue qui pourrait débuter début 2024

« Nous avons commencé par le recensement de chercheuses et chercheurs en Camargue travaillant sur les thématiques de la santé. Nous nous interrogeons également sur la philosophie de cette zone atelier qui reste à construire », rapporte Frédéric Thomas. C’est dans ce cadre que l’équipe a mené un atelier en décembre réunissant les scientifiques amenés à participer à la future ZA. « L’objectif est de coconstruire les bases au travers d’un vivier d’idées dont nous dégageons de grands thèmes. » Un document de présentation est en cours de rédaction avec une parution prévue pour juin. « Nous espérons une labélisation du CNRS à l’automne. L’appel à projet PREZODE (PEPR "Changements globaux, pratiques humaines et émergence de maladies zoonotiques")  sur la prévention des maladies zoonotiques sera une bonne base pour commencer à déposer des projets dans le cadre de la ZA Santé-Environnement en Camargue qui pourrait alors démarrer début 2024 », indique Nathalie Boutin, membre de l’équipe ZA Santé-Environnement en Camargue.

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Un assistant-ingénieur au MIVEGEC, prélevant des échantillons de guanos de chauve-souris pour étudier les coronavirus qu'elles véhiculent © Frédéric Thomas MIVEGEC

Et le projet commence à prendre forme. « Nous sommes partis des recherches sur les maladies infectieuses, dont l’antibiorésistance, et avons élargi à d’autres volets tels que l’écotoxicologie et l’écoanxiété. » De plus, l’équipe a également enrôlé instituts et organismes en lien avec la thématique et surtout les acteurs du territoire - tels que le Parc naturel régional de Camargue, le syndicat Mixte de la Camargue Gardoise, la Chambre de l’Agriculture, les collectivités, etc.  - pour les faire interagir. « Nous avons invité des chargés de missions, des élus et des associations pour favoriser les échanges de connaissances et partager les inquiétudes », explique Raphaël Mathevet, chercheur au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive6  et membre de l’équipe ZA Santé-Environnement en Camargue. « L’idée est de trouver un dispositif pas encore arrêté aujourd’hui pour interagir avec les parties prenantes. L’enjeu est clairement de créer du concernement chez les acteurs locaux et d’impliquer notamment les acteurs de la santé humaine et animale. » À la fin mars a eu lieu une réunion entre différentes disciplines des sciences humaines et sociales telles que la sociologie, la géographie, l’histoire ou encore la psychologie de l’environnement. « Nous allons réfléchir à la construction de questions de recherche propres au SHS pouvant alimenter la ZA », souligne Raphaël Mathevet. En effet, les SHS ont beaucoup à apporter sur la thématique des maladies infectieuses. La future ZA Santé-Environnement en Camargue souhaite mobiliser également les porteurs de méthodes participatives car il existe déjà beaucoup d’expérimentations et d’outils participatifs nés de la mobilisation des acteurs locaux et de la recherche-action dans ce territoire.

Beaucoup reste à construire alors que plusieurs groupes de travail sont déjà nés de la réflexion sur la future ZA – sur l’antibiorésistance et les données – et que deux autres pourraient émerger – sur l’instrumentation et les pesticides.

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L'équipe de la Zone Camargue : Raphaël Mathevet, Delphine Destoumieux-Garzón, Frédéric Thomas et Nathalie Boutin

Une prise de conscience au niveau européen

Enfin, la ZA Santé-Environnement en Camargue pourrait trouver un soutien aussi bien au niveau national, qu’européen et international. L’agenda du consortium Health Environment Research Agenda for Europe, a défini plusieurs actions de recherche prioritaires à l’échelle européenne qui pourront être déclinées et mises en pratique de façon très concrète localement. « Il existe des appels à projet européens auxquels les équipes ont l’ambition de répondre. Tout ce qui s’est passé ces cinq dernières années suite au Covid-19 a changé les mentalités et donné lieu à une prise de conscience sur l’interface santé et environnement. Il y a beaucoup d’outils de financement de la recherche sur cette thématique au niveau national et international dorénavant », note Delphine Destoumieux-Garzón.

La ZA Santé-Environnement en Camargue pourrait trouver des partenaires dans son entourage géographique proche alors qu’elle se trouve à côté de la Zone Atelier Bassin du Rhône et de deux Observatoires Hommes Milieux7  ajoute Frédéric Thomas. Et le delta du Rhône fait partie des Réserves biosphère8  désignées par l’Unesco. « La ZA Santé-Environnement en Camargue va coller au périmètre de la réserve biosphère Camargue/Delta du Rhône. L’UNESCO a un programme One Health auquel nous pourrons nous lier », conclut Raphaël Mathevet, expert également auprès du progamme MAB de l’UNESCO.

 
  • 1CNRS/IRD/Université Montpelier 1 et 2.
  • 2Désigne l'ensemble des émotions liées au sentiment de fatalité vis-à-vis du réchauffement climatique ou des autres risques environnementaux.
  • 3CNRS/Ifremer/Université de Perpignan via Domitia.
  • 4Virus transmis à l'Homme par des arthropodes hématophages (moustiques, tiques, phlébotomes ou culicoïdes) à partir d'un réservoir animal ou d'un individu infecté.
  • 5Vers parasitaires transmis à l’homme et aux bovins à l'issue d'un cycle comprenant des stades chez des escargots.
  • 6CNRS/École pratique des hautes études-PSL/Institut de recherche pour le développement/Université de Montpellier.
  • 7Les OHMs constituent des dispositifs de recherche dédiés à la compréhension des écosystèmes très anthropisés, très artificialisés (anthropoconstruits), très complexes.
  • 8Une réserve mondiale de biosphère (RB) est un territoire reconnu par l'UNESCO conciliant la conservation de la biodiversité et le développement durable, avec l'appui de la recherche, de l'éducation et de la sensibilisation, dans le cadre du programme sur l'homme et la biosphère (Man and Biosphere, MAB).