« Derrière la transition énergétique, des enjeux sociétaux qui dépassent les choix technologiques »

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Doté d’un budget de 50 millions d’euros sur 5 ans, le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) d’accélération Technologies avancées des systèmes énergétiques (TASE) – piloté par le CNRS et le CEA – a été officiellement lancé le 22 mai 2023 à Grenoble. Il s’attaque aux problématiques technologiques liées au développement des réseaux d’énergie qui intégreront davantage d’énergie renouvelable et des cellules photovoltaïques à haut rendement et à impact environnemental réduit. Jean-François Guillemoles, directeur du programme pour le CNRS, en détaille les enjeux.

Le PEPR accélération TASE - que vous codirigez avec Philippe Azaïs (pour le CEA) et en binôme avec Nicolas Retière1  (Université Grenoble Alpes) - s’inscrit dans le contexte large de la transition énergétique. Quels constats sont à son origine ?

Jean-François Guillemoles2  : La transition énergétique vise à décarboner les sources d’énergie, les rendre soutenables à long terme et accessibles à tous de manière sécurisée. Or, cette transition doit être accélérée dans un contexte où les aléas climatiques et la récente guerre en Ukraine soulignent les faiblesses de notre système énergétique.

Dans ce cadre, le PEPR TASE répond aux objectifs de la stratégie nationale de transition énergétique en se positionnant sur le développement de technologies permettant d’intégrer davantage d’énergies renouvelables (solaire photovoltaïque et éolien) dans les réseaux. Notre problématique est de déterminer quelle quantité d’énergie renouvelable et donc intermittente, ces derniers peuvent accepter, tout en continuant à fonctionner selon les attentes sociales économiques et environnementales.

Je profite de cette occasion pour souligner que l’ensemble de ce travail a reposé sur l’investissement essentiel des communautés scientifiques des établissements publics à caractère scientifique et technologique et des établissements publics de caractère industriel et commercial qui se sont mobilisées pour définir la vision de ce PEPR. 

Comment TASE va-t-il prendre en compte les enjeux sociétaux associés à la transition énergétique ?

JF. G : Nous avons l’habitude que la lumière s’allume dès que nous appuyons sur un interrupteur. En fait, il s’agit d’une contrainte imposée par nos modes de vie. En pratique, cela impose des surcapacités de production pour répondre à la demande. Ce PEPR est l’occasion de questionner ce modèle et d’identifier des façons d’équilibrer constamment production et demande d’énergie. Cependant, toucher à la flexibilité impacte les façons de consommer.

D’autre part, l’installation de parcs éoliens ou solaires va engendrer une concurrence quant aux usages du paysage, de l’énergie et sur sa répartition (centralisée ou non). Il est clair que, derrière la transition énergétique, il est question d’enjeux sociétaux qui dépassent les choix technologiques. Un de nos axes étudiera donc comment la société s’organise et s’approprie cette transition énergétique sans engendrer de tensions comme on a pu en voir avec le cas de l’éolien en mer. Nous allons démultiplier les points de vue (social, juridique et économique) afin de nous assurer d’une transition énergétique socialement réussie.

D’autres programmes portent sur l’énergie. Quelle est la particularité des recherches menées ici ?

JF. G : Nous sommes complémentaires. Une de nos particularités est l’accent mis sur les questions de sciences humaines et sociales pour la transition énergétique, avec des moyens importants3 . Notre positionnement est également particulier par son double volet : réseaux et photovoltaïque. Sur la partie réseaux, nous abordons des développements méthodologiques et technologiques facilitant l’intégration massive d’énergies renouvelables : réseaux électriques continus, déploiement d’infrastructures numériques pour le pilotage, stratégies d’adaptation flexible et résiliente de la production en fonction de la demande.

Sur les technologies solaires, nous prévoyons trois axes majeurs insuffisamment couverts par ailleurs. Les recherches permettront premièrement d’améliorer les efficacités, car le rendement des technologies actuellement commercialisées sature. Deuxièmement : l’enjeu est de réduire l’impact environnemental. Et enfin, nous allons accélérer la mise en œuvre des innovations. Dans l’ensemble, nous consacrerons un intérêt particulier à l’architecture et donc au design des cellules solaires de type tandem qui combine le silicium et la pérovskite. Cette association permet d'additionner les points forts des deux semi-conducteurs, à savoir, la durabilité du silicium et le rendement de la pérovskite. Nous complétons ainsi les recherches sur les matériaux actifs4 . D’autres aspects essentiels qui font l’objet de peu de travaux seront abordés, tels que l’assemblage de ces cellules solaires en modules, les matériaux d’enveloppe écoconçus, l’intégration d’une forme d’intelligence dans les modules afin de faciliter leur maintenance et d’allonger leur durée de vie, etc.

Comment la modification de l’architecture des équipements photovoltaïques peut-elle répondre à des enjeux de criticité des matériaux et plus largement de souveraineté ?

JF. G : Les matériaux de base du solaire doivent à la fois assurer des rendements élevés, permettre une industrialisation à coût compétitif et avoir une fiabilité éprouvée. Leur criticité et leur toxicité doivent aussi être réduites. Or, aucun matériau ne répond aujourd’hui à la totalité de ces critères.

Repenser les architectures est une approche originale pouvant réduire notre dépendance à certains matériaux critiques par le design et non plus seulement via le choix des matériaux de base. Par exemple, une bonne conception des zones de contact entre les cellules réduit l’utilisation d’argent et d’indium qui sont des composés rares et chers.

Vous l’avez mentionné, une des forces du PEPR est de s’intéresser aux impacts environnementaux des technologies. Pouvez-vous nous en dire plus ?

JF. G : Quels que soient les choix technologiques qui seront faits, ils se déploieront massivement (plusieurs dizaines de gigawatts en France). Il y aura donc une incidence sur l’environnement, même pour des technologies « propres », du fait de la pollution issue des mines, des rejets et des déchets. Selon nous, les solutions actuelles de quantification de l’impact environnemental sont à améliorer à la fois sur des points méthodologiques de l’évaluation des impacts que sur les données concernant la biodiversité, les ressources, la pollution, et les analyses de cycles de vie.

Il est aussi indispensable d’élargir la vision environnementale à l’intégration des impacts socio-économiques. Ces résultats bénéficieront directement aux développements technologiques du PEPR et à la modélisation de différentes trajectoires de transition et de leurs répercussions.

Comment ce programme va-t-il accélérer le transfert de ses résultats vers la société ?

JF. G : Tout d’abord, les outils développés (simulations, études de scénarios et d’impact) viseront à faciliter des prises de décision éclairées et à accélérer les innovations. Pour le photovoltaïque, nous ciblons des méthodologies qui accéléreront les études de comportement et de vieillissement des matériaux en vue d’une mise sur le marché plus rapide de technologies nouvelles, mais éprouvées. Pour les réseaux, l’accent est mis sur de nouvelles architectures résilientes, l’électronique de puissance (convertisseurs) à très haut rendement et les organes de protection idoines encore peu matures, tout comme les réseaux continus en moyenne tension.

Ensuite, le PEPR a prévu de s’appuyer sur les acteurs des filières concernées par des actions d’animation et d’information. Par exemple, la France a la chance d’avoir des acteurs majeurs sur les technologies pour l’énergie, les réseaux, les équipements et la digitalisation. Ces entreprises ont les moyens de s’emparer de nos futurs développements technologiques. Nous valoriserons également nos résultats à travers les programmes de maturation et de prématuration portés par les Sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) : ExTASE et MSNA-TASE5 .

Enfin, nous avons parlé de criticité liée à l’accès aux ressources, mais être capable de développer des technologies en France et en Europe est tout aussi critique. Nous espérons que nos travaux alimenteront la réindustrialisation du secteur de la production de technologies pour l’énergie sur notre territoire.

  • 1Professeur à l’Université Grenoble Alpes et chercheur dans l’équipe systèmes et réseaux électriques du Laboratoire de Génie électrique de Grenoble (CNRS/UGA), Directeur du Pôle de recherche Physique Ingénierie Matériaux de l’UGA.
  • 2Directeur de recherche CNRS spécialisé dans le développement de systèmes de conversion photovoltaïque à l’Institut photovoltaïque d'Île-de-France, Directeur de l’UMR IPVF (CNRS/École nationale supérieure de chimie de Paris - PSL/École Polytechnique/Institut photovoltaïque d'Île-de-France).
  • 310 % du budget du PEPR y est consacré.
  • 4Matériaux utilisés pour transformer l’énergie solaire en énergie électrique.
  • 5Ces programmes ont pour ambition de favoriser le développement d'une industrie française des nouvelles technologies de l'énergie.