Des recherches dédiées au recyclage et à la recyclabilité

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Sous l’intitulé « Recyclage, recyclabilité et ré-utilisation des matières », un nouveau Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) a été inauguré le 31 mai. Dix grands axes ont été établis afin de couvrir de larges thématiques sur des matériaux allant des métaux stratégiques aux polymères. Entretien avec Jean-François Gérard, directeur du programme pour le CNRS.

Dans quel contexte est né ce Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) ?
Jean-François Gérard1 : Le PEPR Recyclage, recyclabilité et ré-utilisation des matières s’inscrit dans une Stratégie nationale d’accélération de France 2030. Ce Plan d’investissements d’avenir, financé à hauteur de 56 milliards d’euros, est placé sous l’égide de la Première ministre au Secrétariat général pour l’investissement (SGPI). Sont ainsi définis des secteurs industriels où la France souhaite se positionner en leader ou rattraper un retard.

On a notamment beaucoup entendu parler d’un des axes de France 2030 sur la production d’hydrogène décarboné. Notre PEPR sur le recyclage s’inscrit dans la même veine, mais pour une amélioration de la circularité des matériaux, dont certains, comme les métaux, peuvent avoir une importance stratégique pour le pays. Pour cela, nous voulons faciliter leur recyclage et réutilisation, y compris en intégrant les enjeux de recyclabilité dès la fabrication des objets, tout en leur conférant les bonnes fonctionnalités.

 Il s’agit ainsi de rendre l’économie plus circulaire, en réduisant ses besoins en énergies fossiles et en ressources non renouvelables. On touche même à la géopolitique et à la souveraineté. Les PEPR sont une manière de décliner des objectifs de stratégie nationale, définis par l’État, en un programme de recherche en mobilisant la communauté scientifique dans l’ensemble de ses disciplines.

Comment est structurée la recherche dans votre PEPR ?
J-F. G. : Nous avons bâti nos programmes de recherche en concertation afin d’identifier les verrous qui freinent, voire empêchent, le recyclage et la recyclabilité. Nous les avons ensuite transformés en questions scientifiques que nous traitons certes d’un point de vue fondamental, mais avec une réelle vocation applicative. Nous retrouvons ainsi dix projets de recherche : cinq ciblant chaque grande famille de matériaux de la Stratégie nationale d’accélération et cinq projets transverses.

Dans la première catégorie, l’axe PLASTICS se concentre pour ses premiers travaux sur les contaminants présents dans les plastiques, ainsi que sur leur désassemblage (comme dans les multicouches des emballages) et leur recyclage chimique. L’axe STRATEGIC METALS va évaluer le recyclage des métaux stratégiques, tel le lithium, en développant, par exemple une méthode pour trier les composés métalliques automatiquement par rayons X. L’axe COMPOSITES s’intéresse aux matériaux composites et la séparation des fibres et particules des matrices dans lesquelles elles sont dispersées. De nouveaux matériaux, à base d’éléments recyclés et plus faciles à recycler en fin de vie, seront également explorés. L’axe PAPERS & CARDBOARDS vise à améliorer les propriétés des fibres recyclées, tout en optimisant différentes étapes du processus de recyclage. Enfin, l’axe TEXTILES va élaborer des solutions pour une économie circulaire et plus durable des textiles.

Du côté des axes transverses, il s’agira d’étudier des gisements de déchets complexes, combinant les familles de matériaux que je viens d’aborder, dans des produits ou systèmes. L’axe BATTERIES explorera par exemple le recyclage du graphite utilisé dans les batteries lithium-ion, ainsi que celui d’autres éléments comme ceux des électrodes. L’axe NTE, pour "Nouvelles technologies de l’énergie", s’attaquera aux éléments issus des piles à combustible, des panneaux photovoltaïques ou encore des aimants permanents et rotors des éoliennes. L’axe WEEE traitera quant à lui des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Enfin, l’axe HOUSEHOLD WASTE se concentrera sur des méthodes innovantes de tri puis de préparation des déchets ménagers, notamment les emballages et les textiles de l’habillement. Le dernier projet intégrera quant à lui les sciences humaines et sociales, avec la présence d’économistes, de spécialistes des politiques publiques, de juristes, philosophes, géographes, sociologues…

Comment va se dérouler le PEPR ?
J-F. G. :
Le PEPR a été inauguré le 31 mai à Villeurbanne, en présence de près de cinq cents personnes. Nous y avons explicité toutes les actions prévues ainsi que l’action de prématuration et maturation de la Stratégie nationale d’accélération, confiée à CNRS Innovation – 
structure du CNRS dédiée au transfert technologique – et à la Société d’accélération du transfert de technologies (SATT) PULSALYS. Ces actions visent à transférer le plus rapidement possible les résultats issus du PEPR vers des innovations susceptibles de rencontrer des marchés.

Par exemple, l’interdiction prochaine des emballages à usage unique en Europe va pousser à la réutilisation de plastiques. Cela paraît simple, mais les opérations de recyclage peuvent conduire à la formation de polluants impropres à une réutilisation au contact d'aliments. Pour avancer sur cette question et toutes celles que posent nos dix grands axes, plusieurs dizaines de thèses seront menées et autant de postdoctorants pourront approfondir leur formation par la recherche. Nous sommes donc en cours de recrutement et le programme démarre au sein de près de 70 équipes de recherche.

Le PEPR doit durer six ans et est pourvu d’un budget de base de quarante millions d’euros. Les premiers projets ont été lancés pour une période de quatre ans, puis d’autres seront ajoutés au fil d’appels à manifestation d’intérêt et d’appels à projets. Ce PEPR a pour particularité d’être piloté par le seul CNRS, bien qu’il intègre des laboratoires partageant d’autres tutelles comme des universités, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le CEA, l’INRAE ou encore de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN).

Nous souhaitons également définir des « lieux totem » dans divers sites académiques, où les chercheurs et chercheuses concernés pourraient se croiser, dans une démarche interdisciplinaire, et rencontrer des acteurs du monde industriel et de celui de la formation. Nos travaux et expertises scientifiques doivent ainsi pouvoir enrichir les formations dans l’Enseignement supérieur, mais aussi être explicités au grand public. Notre sujet se prête en effet bien aux actions de science participative, qui pourraient justement se matérialiser au niveau de ces fameux « lieux totem ».

Quel est l’apport du format PEPR ?
J-F. G. : Il existe déjà beaucoup de travaux sur le recyclage, mais le PEPR nous permet d’avoir une approche réellement systémique ou holistique. Il donne un cadre pour un travail de recherche inter- et pluridisciplinaire. Cette recherche d’une circularité des matériaux lie tous les éléments, objets ou approches, et il est absolument essentiel de créer de tels réseaux pour relever le défi assigné par la Stratégie nationale d’accélération.

  • 1Jean-François Gérard est professeur à l’INSA Lyon, membre du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères et directeur adjoint scientifique de l’Institut de chimie du CNRS (INC). Il dirige le PEPR Recyclage, recyclabilité et ré-utilisation des matières.