Le supercalculateur Jean-Zay recycle sa chaleur

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En décembre 2023, des travaux ont permis de raccorder le supercalculateur Jean-Zay au réseau de chauffage du plateau de Saclay, de manière à récupérer la chaleur fatale dégagée par l’équipement scientifique. Une opération immobilière qui s’inscrit plus généralement dans le plan de sobriété énergétique du CNRS.

Depuis décembre 2023, d’étranges tuyaux serpentent sur le plateau de Saclay. Ceux-ci raccordent au réseau de l’Établissement public d'aménagement Paris-Saclay (EPAPS)1 le système de refroidissement du supercalculateur Jean Zay du Grand équipement national du calcul intensif (GENCI), hébergé et opéré par l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (IDRIS) du CNRS. Ces créatures d’acier et de cuivre cachent un enjeu d’importance : réutiliser la chaleur fatale du premier supercalculateur pour la recherche académique de France et l’un des plus puissants d’Europe pour chauffer l’équivalent de 1 000 logements neufs sur le plateau de Saclay.

  • 1L’EPAPS a pour mission l'aménagement du territoire, le développement économique et la conduite d’opérations immobilières, notamment sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l'urbanisme, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il doit fédérer les acteurs académiques au sein de l’un des plus importants campus mondiaux, renforcer les liens entre la recherche publique et le monde économique pour dynamiser l’innovation, et mettre en place des infrastructures (logements, transports, équipements, services) destinées à améliorer le cadre de vie de ce territoire du Grand Paris.

Le plan de sobriété énergétique du CNRS avance à grands pas

Lancé en 2022 en application de consignes ministérielles, le plan de sobriété énergétique du CNRS prévoit, d’ici fin 2024, une réduction de 10 % de sa consommation d’énergie de 2019. Et les choses avancent vite. En un an à peine, à l’été 2023, le CNRS l’avait diminuée de presque 8 % (voir chiffres-clés).

Cette baisse significative s’explique, d’une part, par les travaux d’isolation bâtimentaire que le CNRS a pu mener grâce au soutien financier de l’État. L’exemple du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) en est emblématique. Jusqu’en 2023, 80 % de la consommation énergétique de ce laboratoire d’informatique toulousain provenait de sa salle blanche. Grâce à la pose de panneaux photovoltaïques et de registres modulants sur les systèmes de ventilation, à l’installation d’un système de récupération de chaleur et à une meilleure supervision de ses dépenses énergétiques, le LAAS-CNRS a diminué sa consommation de 37% pour l’électricité et de 80 % pour le gaz, par rapport à 2017.

D’autre part, la mise en place de réseaux professionnels de correspondants techniques bâtiments et de référents développement durable et la sensibilisation des communautés scientifiques ont facilité le partage d’expérience et de bonnes pratiques en matière de sobriété énergétique. Ce à quoi il faut ajouter les campagnes de communication autour des écogestes.

La chaleur fatale comme moyen de chauffage

Lorsqu’il est impossible de réduire la consommation d’énergie, autant en réinjecter l’excès dans d’autres systèmes. C’est le choix qu’a fait la direction de l’IDRIS, qui héberge et opère le supercalculateur Jean Zay. Ce superordinateur, formé par un assemblage très dense de serveurs empilés les uns sur les autres et fédérés par un réseau très rapide, traite des problèmes inaccessibles pour un ordinateur de bureau en parallélisant les calculs, c’est-à-dire en donnant à chaque serveur un petit bout d’un problème à traiter. Ce type de méthode s’applique à différentes thématiques de recherche : Jean Zay a ainsi formé une intelligence artificielle au bridge, participé à la modélisation du coronavirus ou encore contribué en 2022 au développement de Bloom, l’un des plus grands modèles de langue multilingue et open science jamais créé.

Le revers de la médaille est la gourmandise électrique de ce champion numérique : avec une consommation de 17 GWh/an, c’est l’un des équipements les plus énergivores du CNRS. En effet, à la consommation électrique indispensable pour atteindre la puissance crête de 36,85 pétaflops s’ajoutent les dépenses nécessaires au refroidissement de la machine. Suivant le type de refroidissement, cela peut représenter 20 à 50 % d’électricité supplémentaire. Toute cette énergie injectée finit sous la forme de chaleur, qu’on appelle la « chaleur fatale ». Une telle dépense énergétique a, dès le début, orienté les recherches de l’IDRIS vers l’écoresponsabilité de ses équipements. « L’IDRIS étant l’un des laboratoires les plus consommateurs du CNRS, nous sommes très sensibles à la question du coût de l’énergie. C’est pourquoi nous voulons optimiser au mieux la science qu’on peut produire avec 17 GWh/an », avance Pierre-François Lavallée, directeur de l’unité.

À cette fin, et grâce à un investissement spécial du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le laboratoire a installé un système de refroidissement liquide à 30-36° C, contre 12° C pour le supercalculateur précédent. Cette température est suffisante pour capter les calories en provenance du réseau interne du supercalculateur, qui chauffe à 42° C. Refroidir moins signifie consommer moins d’énergie.

Par ailleurs, depuis 2011, l’IDRIS a mis un place un système de récupération de la chaleur fatale de Jean Zay pour chauffer ses propres bâtiments et une partie de ceux du Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique1 voisin. Cette installation, d’une capacité très supérieure, permet désormais de chauffer, en plus, l’équivalent de 1 000 logements neufs sur le plateau de Saclay. Rafael Medeiros, responsable adjoint système-exploitation en charge des infrastructures techniques de l’IDRIS en charge de l’opération de raccordement du réseau du laboratoire à celui de l’EPAPS, revient sur l’origine du projet : après la signature officielle d’une convention en février 2021 entre le CNRS et l’EPAPS, ce dernier « nous avait demandé de contribuer à leur réseau d’eau tempérée. C’était pour eux l’opportunité d’avoir un fournisseur de chaleur fatale et pour le CNRS d’avoir un consommateur, en l’occurrence, le plateau de Saclay ».

 

Le supercalculateur Jean-Zay
Le supercalculateur Jean-Zay © Cyril FRESILLON / IDRIS / CNRS Images

 

Les nouvelles machines construites pour limiter la consommation électrique

La future extension du supercalculateur, en passe d’être installée, sera refroidie avec de l’eau encore plus chaude, permettant de capter encore plus de calories et de chauffer davantage de bâtiments. En trouvant un équilibre entre processeurs de calcul et processeurs graphiques, ces nouvelles partitions ont également été pensées pour augmenter la puissance de calcul sans augmenter la consommation énergétique.

Rafael Medeiros l’assure : vu la chaleur fatale qu’il dégage, Jean Zay n’aurait aucun mal à fournir plus de chauffage, car « dès leur conception, nous rendons nos installations compatibles à la réutilisation de chaleur en prévoyant la possibilité de raccordement au réseau hydraulique ». Aussi, entre le recyclage de la chaleur fatale de Jean Zay et l’exploitation locale de géothermie, le plateau de Saclay, où siègent de nombreux équipements scientifiques énergivores, peut se targuer de couvrir 60 % de sa consommation avec de l’énergie récupérée ou d’origine renouvelable.

Cette démarche singulière place le supercalculateur Jean Zay en position de pionnier de l’écoresponsabilité. Pierre-François Lavallée s’enthousiasme ainsi pour cette machine qui « figure aujourd’hui parmi les supercalculateurs les plus écoresponsables au monde grâce à la récupération de chaleur fatale. Si l’on prenait cette dernière en compte dans le calcul du Power Usage Effectiveness2 , notre score tournerait autour de 0,8 (alors qu’il est de 1,2 sans elle). Jean Zay est le premier et seul supercalculateur de cette échelle doté d’une telle configuration en France et même l’un des seuls au monde ». Selon le directeur de l’IDRIS, Jean Zay alimente d’ailleurs « les réflexions en cours pour la future machine exaflopique française ».

 

  • 1CNRS / Université Paris-Saclay.
  • 2Le Power Usage Effectiveness est un indicateur mis au point pour mesurer l’efficacité énergétique d’un datacenter. Il est calculé en divisant le total de l’énergie consommée par le datacenter par le total de l’énergie utilisée par les équipements informatiques (serveur, stockage, réseau). Plus on est proche de 1, plus la consommation d’énergie est efficace. Ce calcul ne prend cependant pas en compte la récupération de chaleur.
7,8 % de baisse globale des consommations énergétiques du parc CNRS
12 % de baisse des consommations de gaz naturel et des réseaux de chaleur
20 % de baisse de consommation de fioul, qui ne représente plus que 0,92 % du mix énergétique
62 % des 50 sites les plus consommateurs d’électricité enregistrent une baisse