Les chercheurs étrangers en danger ont besoin de PAUSE

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Le CNRS est partenaire de PAUSE, un programme national d’aide aux scientifiques en exil dont l’ambition est d’accueillir cent chercheurs étrangers par an, de toutes disciplines et de toutes origines géographiques.

« Quand la guerre a éclaté en Syrie, je travaillais au musée de Damas et j’ai poursuivi mes recherches sur le terrain, c’était une forme de résistance, raconte Selim, archéologue, puis la situation est devenue de plus en plus difficile, ma vie était en danger. La seule solution pour continuer à développer mon projet scientifique était de quitter mon pays ». Persécutée au Yémen par les groupes islamistes et les forces de sécurité du régime, Asma, spécialiste de la culture populaire et du patrimoine orale yéménites a dû aussi s’exiler tout comme Rezan, turque et enseignante à l’université, accusée de terrorisme après avoir signé en 2016, avec plus de 1 100 universitaires turcs, la pétition d’Academics for Peace. Signataire elle aussi, Nesrîn, doctorante en sociologie, féministe, militante pro-kurde, et son mari, ont fui. «J’ai survécu à deux bombardements, j’essaie toujours de me débarrasser des effets psychologiques de ces événements traumatiques », avoue-t-elle.

Un devoir de solidarité

Ces histoires tragiques ne sont pas isolées. Là où sévissent guerres et régimes autoritaires, totalitaires, des scientifiques sont menacés, privés de leurs libertés dont la liberté académique, parfois exécutés. Seul demeure l’espoir de trouver une terre d’accueil pour exercer leur métier. Ce sera la France, pour Selim, Asma, Rezan et Nesrîn1 . Ces quatre chercheurs sont parmi les 63 premiers bénéficiaires de PAUSE, le Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil, lancé en janvier 2017 à l’initiative de l’Etat et piloté par le Collège de France.

Thierry Mandon, alors secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, se souvient, « Beaucoup de chercheurs nous alertaient sur la situation déplorable de collègues étrangers avec lesquels ils étaient en contact, en particulier au Moyen-Orient. La France a une tradition d’accueil des scientifiques étrangers. Par devoir de solidarité et d’humanité, créer un dispositif national s’imposait pour aider ces chercheurs en danger ». Car, en dépit d’un précédent historique en 19362 , la France, contrairement à d’autres grandes démocraties3 , en était dépourvue, comme le note Liora Israël, maîtresse de conférences à l’EHESS dans son « Rapport sur l’accueil en France des scientifiques en danger » de septembre 2016. Les initiatives structurées étaient le fait de communautés de chercheurs, par exemple celle des archéologues spécialistes du Moyen-Orient.

Une forte mobilisation

 « La mise en place de PAUSE a été très rapide et la réactivité des établissements d’enseignement supérieur, des organismes de recherche et des partenaires, très grande. Dès les deux premiers appels à candidatures et sans publicité, nous avions plus de 100 candidats », souligne la généticienne Edith Heard, professeure au Collège de France, qui co-préside avec Alain Prochiantz, administrateur du Collège, le comité de parrainage du programme.

Les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche sont les chevilles ouvrières du dispositif. « Ils s’engagent à recruter les scientifiques en danger et à les accompagner dans leur insertion professionnelle et sociale, au terme d’un processus d’évaluation », explique Laura Lohéac, directrice exécutive de PAUSE. Ils sont 50 sur l’ensemble du territoire à accueillir les 63 scientifiques sélectionnés à ce jour (48% de femmes, 52% d’hommes, 48% de chercheurs confirmés, 35% de doctorants, 17% de post-doctorants). Ces établissements bénéficient de soutiens financiers versés par PAUSE en co-financements. Ces subventions sont allouées pour une année et renouvelables une fois.

 « Grâce à PAUSE, je peux poursuivre ma recherche, approfondir son aspect comparatif et c’est aussi une excellente occasion d’intégration personnelle et professionnelle à la culture et à la société françaises » observe Rezan, qui a rejoint un laboratoire de sociologie. « Grâce à cette opportunité, j’aurai la chance de publier ma thèse, se félicite Nesrîn, chercheuse invitée à l’Université de Bretagne occidentale, qui apprécie le soutien de ses collègues : « notre relation repose sur une solidarité politique dont ils se sentent responsables », indique-t-elle. 

Une chance pour la France

L’afflux de demandes d’aides illustre le succès du programme, qui compte déjà trois appels à  candidatures à son actif. Les premières « Rencontres internationales de PAUSE » vont se tenir le 9 novembre à Paris. « Notre ambition est d’accueillir 100 chercheurs par an, précise Laura Lohéac, issus de toutes les disciplines scientifiques et origines géographiques ». Financé en 2017 par l’Etat à hauteur de 2 millions d’euros, mais aussi par le CNRS et le Collège de France, par la Chancellerie des universités de Paris et la Mairie de Paris, par des entreprises mécènes telles que Capital Fund Management et la Fondation d’Entreprise Michelin, PAUSE fait aussi appel à la générosité publique à travers un fonds de souscription sous l’égide de la Fondation de France.

« Sauver une vie, sauver des idées est le slogan de PAUSE, il est important de sensibiliser le grand public, rappelle Edith Heard, accueillir tous ces talents scientifiques est une richesse pour l’ensemble de la société en termes de connaissance et de savoir ». PAUSE doit être pérennisé et développé, plaide Thiery Mandon, car au-delà du devoir moral, il contribue à renforcer la recherche et l’attractivité françaises.

PAUSE est aussi une porte ouverte sur l’avenir pour ces chercheurs qui pourront, le moment venu, participer à la reconstruction de leur pays. « J’aimerais pouvoir retourner sur le terrain quand la situation le permettra, le Yémen c’est ma vie » , affirme Asma, qui travaille désormais en France, et écrit des articles et des ouvrages en collaboration avec des chercheurs français. Selim, accueilli dans un laboratoire parisien, espère un jour enseigner en Syrie pour « préparer une nouvelle génération d’archéologues. Rapprocher les Syriens de leur patrimoine historique et archéologique est un défi essentiel car cette culture leur appartient, quelle que soit leur religion ». La connaissance, par-delà les croyances, comme messagère de paix.

  • 1Les prénoms ont été modifiés.
  • 2Sous le Front populaire, le scientifique d’origine biélorusse Louis Rapkine est à l’initiative de la création du « Comité d’accueil et d’organisation du travail des savants étrangers ».
  • 3PAUSE a initié des partenariats avec des programmes homologues : aux Etats-Unis, The Institute of International Education Scholar Rescue Fund (IIE-SRF) et Scholars at Risk (SAR) créés respectivement en 1921 et 1999 ; au Royaume-Uni, The Council for At-Risk Academics (CARA), créé en 1933 ; en Allemagne, The Phillip Schwartz Initiative of the Alexander von Humboldt Foundation (2016).

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Pourquoi le CNRS soutient-il le programme PAUSE ?

La présence à l’international du CNRS est très importante, avec ses chercheurs en mission, ses partenariats et son réseau de laboratoires internationaux, les UMI et les UMIFRE1 . Aussi, quand des événements graves ont lieu à l’étranger, le CNRS est aux premières loges pour mesurer les difficultés et l’urgence dans lesquelles  peuvent se trouver des scientifiques dans leur pays. Nous avons, par exemple, éprouvé la situation douloureuse des chercheurs syriens de l’Institut français du Proche-Orient à Damas; beaucoup ont dû s’exiler. La création d’un programme d’accueil qui cible les chercheurs en exil nous tient ainsi particulièrement à cœur.

Comment le CNRS est-il concrètement impliqué dans le programme ?

Nous avons mobilisé nos dix instituts de recherche afin que les laboratoires identifient des chercheurs étrangers en situation d’urgence et fassent remonter les candidatures éligibles au programme. Le CNRS est également membre du comité de direction du programme. Il le soutient à hauteur de 250 000 euros en 2017 et finance un poste dans l’équipe opérationnelle.

PAUSE est très récent. Quels développements en attendez-vous ?

Les réalités géopolitiques laissent à penser que nous aurons besoin de ce programme pendant longtemps. La coordination, d’ores et déjà amorcée, avec d’autres dispositifs similaires existant aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou  en Allemagne devra être renforcée pour mutualiser les moyens. L’Etat a fait un bel effort et on peut espérer que la Commission européenne s’engage elle aussi. C’est un programme formidable, d’une nécessité absolue, qui doit passer à un niveau supérieur avec le soutien de nouveaux bailleurs de fonds.

  • 1UMI : Unités Mixtes Internationales ; UMIFRE : Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l’Etranger.