Pollution plastique : « Ces trois jours de rencontre vont donner la parole à toutes les parties prenantes »

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Pour éclairer l’impact des plastiques en milieu insulaire et notamment dans la région de l’océan Indien ouest, une rencontre internationale aura lieu du 17 au 19 octobre à Madagascar. Les co-organisateurs, Thierry Bouvier et Tsiory Razafindrabe, en détaillent les enjeux sociétaux.

Les plastiques représentent-ils un défi particulier pour les pays de l’océan Indien ouest ?
Thierry Bouvier1  et Tsiory Razafindrabe2  : La pollution plastique est une préoccupation mondiale. L’augmentation exponentielle de la production et de la consommation de plastiques au cours des 50 dernières années a en effet généré une pollution dramatique de l'environnement marin dans tous les océans de la planète. Les plastiques proviennent de l’activité humaine terrestre et maritime. De par les courants marins, ils s’accumulent en zone côtière, mais aussi dans les gyres océaniques3 . L’océan Indien fait partie des océans les moins étudiés, alors que les premières prédictions suggèrent qu’il est largement touché par cette pollution4 . Les scientifiques manquent de données sur l’ensemble des facettes de cette pollution, qu’elles soient physiques, chimiques, biologiques, sociologiques ou économiques. Cela limite l’évaluation et la compréhension des conséquences directes sur la biodiversité marine et ses réseaux trophiques5 , sur la santé des humains, et sur l’économie de cette région où se situent certains des pays les plus pauvres du monde, comme Madagascar.

  • 1Directeur de recherche CNRS au laboratoire Biodiversité marine, exploitation et conservation (MARBEC, CNRS/IRD/Ifremer/Université de Montpellier), Thierry Bouvier est aujourd’hui en affectation à l’Institut halieutique et des sciences marines de l’Université de Toliara à Madagascar.
  • 2Tsiory Razafindrabe est secrétaire générale du Groupe interacadémique pour le développement et directrice de cabinet du secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences d'outre-mer.
  • 3Ces gigantesques vortex d’eau, formés d’un ensemble de courants marins, transportent lentement dans tous les océans de la planète l’énergie thermique, l’eau, les gaz reçus en surface mais aussi les pollutions d’origine anthropique.
  • 4Pattiaratchi C et al (2022). Plastics in the Indian Ocean – sources, transport, distribution, and impacts. Ocean Science. 18:1-18.
  • 5Un réseau trophique est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d'un écosystème.
8 à 15 millions de tonnes de plastiques

Aujourd'hui, 8 à 15 millions de tonnes de plastiques sont déversées chaque année dans les océans, soit l’équivalent de deux tours Eiffel en masse/jour.

Notre événement vise donc à participer à la dynamique mondiale pour tenter de trouver des solutions, en encourageant la programmation scientifique dans la région afin d’améliorer nos connaissances, mais aussi pour le développement d’infrastructures industrielles qui seront nécessaires à l’implémentation des solutions. Sensibiliser la population est aussi un volet important de notre démarche : comprendre la perception de la pollution plastique par ces populations très contrastées et mêler connaissances scientifiques et culturelles seront indispensables pour assurer l’acceptabilité de l’idée même de pollution et des recommandations.

La communauté scientifique va-t-elle justement faire des recommandations à l’issue de cette rencontre ?
T. B. et T. R. : Le but est d’entendre le constat scientifique de l’état de la pollution plastique dans cette zone de l’océan Indien. Ces trois jours de rencontre vont donner la parole à toutes les parties prenantes : sont invités certes des scientifiques, mais aussi des organisations non gouvernementales et des industriels et jeunes entrepreneurs. Ils présenteront leurs solutions face à des problèmes posés par les plastiques dans leur environnement direct et feront part de leurs préoccupations. Par exemple, que faire des sacs plastiques utilisés pour stocker des aliments lorsque l’on gère une aquaculture ? Les plastiques biosourcés et les stratégies de recyclage dans un contexte sous-développé sont des enjeux spécifiques de la région, qui nécessitent des solutions sur-mesure et seront abordés.

microplastiques
Microplastiques prélevés dans l'océan. © CNRS - LEMAR

Notre volonté est de faire émerger des messages à adresser aux décideurs, afin de les aider à mettre en place des politiques de protection de l’océan, de nettoyage et de récolte des plastiques. C’est pourquoi il nous semblait important de convier des participants de haut niveau (voir encadré). Nous espérons une prise de conscience et l’émergence de positions communes. En particulier, nous souhaitons inciter à légiférer sur cette pollution à l’échelle des États concernés et de la région Indianocéanie, qui couvre les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien, car les législations nationales actuelles sont variées et pas toujours en accord avec les conventions internationales, elles-mêmes pas toujours pertinentes pour une région aux enjeux spécifiques. Pour cela, il faudra des données scientifiques, donc des programmes de recherche plus ambitieux.

Un événement soutenu à haut niveau

De nombreux acteurs de profils et horizons variés sont attendus à la Rencontre internationale « Les plastiques marins dans l’océan Indien » du 17 au 19 octobre 2022 à Madagascar. L’événement se tient sous le haut patronage du président de la République de Madagascar, SE M. Andry Rajoelina, et a été conçu avec l’appui de la Commission de l’océan Indien9  qui regroupe cinq États de l’océan Indien – l’Union des Comores, la France, Madagascar, Maurice et les Seychelles –, du Groupe interacadémique pour le développement (GID10 ), un réseau de 30 académies d'Europe et d'Afrique dont la mission est de « mobiliser les savoirs au service d'un co-développement durable », et du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) français. L’Académie des sciences françaises fait partie du GID et son Secrétaire perpétuel, Catherine Bréchignac, ambassadrice de la France pour la science, la technologie et l’innovation, et ancienne présidente du CNRS, est fortement impliquée dans l’organisation.

L’événement présente également une portée internationale, les enjeux dépassant la zone géographique de l’océan Indien : « Nous sommes ravis d’avoir pu faire venir une délégation de jeunes leaders canadiens soutenus par Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ), avec de jeunes scientifiques, de jeunes entrepreneurs et des jeunes investis dans le milieu associatif », soulignent Tsiory Razafindrabe et Thierry Bouvier.

  • 9Dont le Sécrétaire général est l’économiste français Vêlayoudom Marimoutou.
  • 10Présidé par François Guinot, président honoraire de l’Académie française des technologies.

Quels sont les enjeux pour la France ?
T. B. : La rencontre est avant tout internationale avec des intervenants de tous les États de l’Indiaocéanie. À ce titre, la France est concernée. Elle l’est aussi par l’importance stratégique de la zone pour la nation et particulièrement pour les citoyens et citoyennes français de l’île de la Réunion. Nous aurons ainsi le plaisir d’accueillir et d’entendre des experts scientifiques français7  de la métropole et des territoires ultramarins, ainsi que des acteurs économiques, la société civile et les pouvoirs publics, comme le Conseil régional de la Réunion.

Plus largement, quelles sont les initiatives régionales ?
T.B. : Parmi les initiatives régionales pour lutter contre cette pollution, la Commission de l’océan Indien met en œuvre depuis 2021 le projet régional ExPLOI (Expédition Plastique Océan Indien), dont je coordonne les activités scientifiques. D’une durée de 5 ans avec un financement de 6,7 millions d’euros8 , ce projet propose une approche pluridisciplinaire qui s’inscrit à la croisée de plusieurs problématiques économiques, écologiques et sociales qui sont importantes pour l’Indianocéanie. Il vise à contribuer à l’amélioration de la connaissance scientifique sur l’impact de la pollution, à la réduction et au recyclage des déchets plastiques, au développement d’une économie circulaire régionale, et à la sensibilisation des populations. Ce projet, dont le conseil scientifique est présidé par Catherine Bréchignac, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences française et membre du GID, a permis de catalyser cette Rencontre. Aux côtés d’autres initiatives comme celles de l’Association des sciences marines de l’océan Indien occidental (WIOMSA), il joue un rôle fédérateur pour la région.

La sensibilisation des populations locales semble centrale dans votre démarche…
T. R. : Oui, si les scientifiques doivent faire des recommandations, il est capital qu’elles soient compréhensibles et acceptables pour toutes les populations concernées. L’éducation, la sensibilisation et la prise en compte des différentes cultures sont donc très importantes pour véhiculer des messages de prévention efficaces. Lors de la Rencontre, se tiendra une action qui me tient à cœur : trois artistes reconnus – le dessinateur-scénariste malgache Dwa, l’artiste malgache MoovMainty et le musicien mauricien Kan – vont travailler avec une vingtaine d’enfants de 10 à 15 ans, issus de milieux très défavorisés de la banlieue reculée de Tananarive qui reflètent la réalité du pays. Ces enfants de l’école communautaire L’Héritage, située près d’Ambohimanga Rova, auront un temps de restitution face à tous les participants pour montrer quel message de prévention ils auront décidé ensemble de faire passer et de quelle manière. Avec ce projet, nous souhaitons démontrer qu’il est possible de sensibiliser tout le monde à cette problématique cruciale, tant que l’on travaille avec la population visée pour entendre ses préoccupations : la pauvreté ne doit pas se placer en prétexte pour ne pas leur parler de ces sujets-là.

  • 7Ika Paul-Pont, chargée de recherche CNRS au Laboratoire des sciences de l'environnement marin (CNRS/IRD/Ifremer/Université de Bretagne occidentale) ; Marie Thiann Bo Morel, maître de conférence à l’Université de La Réunion ; François Galgani, directeur de recherche Ifremer à Tahiti ; Emmanuelle Roque, chercheure Ifremer dans l’UMR MARBEC (CNRS/IRD/Ifremer/Université de Montpellier) ; Catherine Mouneyrac, professeur à l’Université Catholique de l’Ouest.
  • 8Financé par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial.