Vers une psychiatrie de précision

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Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire ProPSY – piloté par le CNRS et l’Inserm – vise à développer des solutions en soutien au déploiement de la médecine de précision en psychiatrie. Les recherches se concentrent sur les troubles bipolaires, les dépressions résistantes, les schizophrénies et les troubles du spectre de l’autisme. Il est doté d’un budget de 80 millions d’euros sur 5 ans. Entretien avec Marion Leboyer, directrice du programme pour le CNRS.

Le PEPR "Projet-programme en psychiatrie de précision" (ProPSY1 ) ambitionne de développer la psychiatrie de précision pour révolutionner le diagnostic des troubles mentaux et la prise en charge des patients. Pourquoi est-ce important d’avoir un programme dédié à ces enjeux ?
Marion Leboyer2  : La psychiatrie est la première cause mondiale de handicap avec 60 % des patients qui ne répondent pas adéquatement aux traitements ou aux stratégies thérapeutiques existantes, quelle que soit leur pathologie. Ces pathologies sont extrêmement fréquentes et touchent 12 millions de Français, sans compter les retentissements sur les aidants et les proches. Elles représentent la majorité des dépenses nationales directes et indirectes en santé, qui sont passées de 109 à 160 milliards d’euros entre 2007 et 2017. Il est donc urgent d’améliorer la prévention, le diagnostic et la prise en charge des pathologies psychiatriques. Nous faisons également face à une baisse de l’attractivité de tous les métiers liés à la psychiatrie : médecins, infirmiers, chercheurs et aussi entrepreneurs (start-ups et PME). En effet, depuis plusieurs années, l’industrie pharmaceutique s’est désengagée de la santé mentale.

Enfin, beaucoup de fausses représentations et de stigmatisation des maladies mentales, leurs causes et les stratégies thérapeutiques persistent en France, ce qui génère aussi des retards au diagnostic et à la prise en charge.

Vous le voyez, les enjeux de la psychiatrie sont nombreux et le PEPR arrive à un très bon moment. Nous avons eu des succès reconnus mondialement ces dernières années qui laissent espérer que la psychiatrie soit transformée dans les années à venir. En effet, la recherche a fait d’énormes progrès et de nombreuses innovations, notamment numériques, améliorent la prise en charge des patients.

Quels sont les objectifs du PEPR et les défis qui vont être relevés ?
M. L : La psychiatrie actuelle s’apparente à du « prêt-à-porter » plutôt qu’à de « la haute couture », et tout le monde est forcé de porter le même costume : un traitement pour tout le monde. Au contraire, avec ProPSY, on veut se diriger vers une médecine de précision en psychiatrie avec l’objectif de soigner de manière ciblée des sous-groupes homogènes de patients. Il faut donc développer des outils d’identification de formes cliniques et identifier les marqueurs biologiques et cliniques caractéristiques de ces sous-groupes homogènes de patients.

Un deuxième enjeu tient à l’identification de facteurs qui expliquent les stades d’évolution des troubles et leurs trajectoires. Nous voulons comprendre les causes et les mécanismes des maladies afin de développer des stratégies thérapeutiques ciblées. Dernier enjeu : favoriser l’implémentation de nos découvertes. Une série d’exemples montre qu’actuellement les autorités de santé ne favorisent pas l’implémentation d’innovations même si elles ont été démontrées scientifiquement. Il y a donc un enjeu important de sensibilisation.

La moitié des financements du PEPR va servir à la création d’une cohorte de patients. En quoi consiste-t-elle ?
M. L : En effet, nous allons créer la cohorte French Minds de 3 000 patients adultes avec des troubles bipolaires, des schizophrénies, des dépressions résistantes et des troubles du spectre de l’autisme. Le financement du PEPR va nous permettre de réaliser une caractérisation clinique, biologique et numérique de chaque patient. Nous réaliserons ainsi une grande base de données multimodale avec des données d’imagerie cérébrale, de génétique, d’immunologie et des phénotypages digitaux3  des patients. Elle viendra étendre les cohortes françaises préexistantes : celle du réseau national des centres experts de la Fondation FondaMental4 , et celle du projet de Recherche Hospitalo-Universitaire (RHU) PsyCARE. Le PEPR contribuera ainsi à l’élaboration d’une base de données harmonisée de plus de 10 000 patients.

Une de nos priorités scientifiques est l’immuno-psychiatrie. Près de 40 % des personnes atteintes d’une maladie mentale sont porteuses d’une inflammation due à l’interaction entre de nombreux facteurs de risque : infection, pollution, le fait de vivre en ville, d’avoir été exposé à des traumatismes sévères, la migration ou encore une mauvaise hygiène de vie. Ces facteurs environnementaux, en interaction avec l’immunogénétique des malades, déclenchent donc une inflammation qui est mesurable au niveau du sang, du cerveau, du métabolisme et de l’axe cerveau-intestin. L’enjeu est désormais d’identifier, à l’aide d’outils d’IA et d’algorithmes, des sous-groupes homogènes ou des signatures communes à plusieurs pathologies.

Comment les découvertes réalisées s’articuleront dans les autres axes du PEPR ?
M. L : Quatre axes majeurs seront impactés par les découvertes réalisées sur la cohorte. Une partie consistera à utiliser des modèles précliniques et animaux en vue de mieux comprendre les causes des maladies et d’explorer les mécanismes par lesquels les biomarqueurs identifiés contribuent à une physiopathologie. Un premier projet portera ainsi sur l’impact de la pollution sur le déclenchement des maladies. Un autre abordera les psychoses auto-immunes, des troubles psychiatriques qui se manifestent par la production d’anticorps qui entraînent des dysfonctionnements des récepteurs cérébraux.

L’axe suivant portera sur le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques dans le cadre de la médecine de précision. On va, par exemple, lancer des traitements pour neutraliser les anticorps que je viens de mentionner. Autre enjeu : développer un nouveau secteur de l’industrie biomédicale dédié à la santé mentale et à la psychiatrie. Nous voulons stimuler l’innovation via les partenariats public-privé. Un living lab aura ainsi pour objectif de soutenir la collaboration entre des entreprises, des laboratoires, des patients et des aidants pour innover et avancer ensemble dans la création de valeurs pour la psychiatrie. De plus, un travail sera mené sur la dissémination, l’éducation et la formation de la population et des personnels de santé (plateforme web PROPSY, MOOC, etc.). Enfin, des appels à projets seront ouverts à mi-parcours afin de consolider les résultats préliminaires.

Quelles seront les principales retombées de ce PEPR sur la société ?
M. L : L’impact pour la société est multiple. Nous allons créer un ensemble d’infrastructures (dont la cohorte) qui vont améliorer le diagnostic et le traitement des patients. Les patients seront diagnostiqués plus tôt et mieux. Nous allons également mettre en place des Centres d’Investigations Cliniques spécialisés en psychiatrie. Ces derniers faciliteront le déploiement d’essais cliniques à travers le territoire. En parallèle du développement d’innovations thérapeutiques, un policy lab rassemblera autour de la table les agences de financements et de régulation, les patients et les médecins. Sa mission sera d’augmenter les connaissances des décideurs, autant sur nos enjeux que sur nos résultats. Des programmes viseront également à soutenir l’attractivité du milieu psychiatrique. Enfin, ProPSY sera en mesure de livrer une stratégie nationale de recherche et d’innovation en psychiatrie de précision au terme des cinq ans.

  • 1Le PEPR est mené en partenariat avec la Fondation FondaMental, l’Université Paris-Est Créteil, le CEA, Sorbonne Université, l’Université de Bordeaux, l’Université de Lille et l’Université de Paris.
  • 2Professeure de psychiatrie à l'Université Paris-Est Créteil (UPEC) et directrice du laboratoire Neuropsychiatrie translationnelle de l'Institut Mondor de recherche biomédicale (Inserm/UPEC).
  • 3Une quantification du phénotype humain à l'aide de données provenant d'appareils numériques personnels.
  • 4Elle se compose de 53 centres sur le territoire et a mis en place la base informatique FACE (fondamental advanced center of expertise).