Le projet NOEMA est une extension et une remise à niveau de l’interféromètre mis en service en 1990 sur le plateau de Bure. © Jérémie BOISSIER/IRAM/CNRS Photothèque

La France et l’Allemagne, des partenaires moteurs pour les infrastructures de recherche

Recherche International

L’inauguration de la dernière antenne de l’interféromètre NOEMA sur le plateau de Bure est l’occasion de revenir sur l’importance des riches collaborations franco-allemandes en matière d’infrastructures de recherche.

Une douzième antenne pour faire de NOEMA le radiotélescope le plus puissant dans sa catégorie dans l’hémisphère nord. Bien que l’antenne soit en fonctionnement depuis le début de l’année, l’aboutissement de ce projet décennal est célébré le 30 septembre par une inauguration officielle. Étaient présents notamment les présidents du CNRS – Antoine Petit – et de la Max-Planck-Gesellschaft (MPG) – Martin Stratmann –, ainsi que le Professeur Reinhard Genzel, prix Nobel de physique 2020 et co-directeur de l’Institut Max-Planck de physique extraterrestre à Munich, dont les liens avec la communauté astrophysique française sont étroits.

La naissance des exoplanètes | Reportage CNRS

Quelles sont les molécules en rotation avant la naissance d’une étoile ? Quels gaz entrent dans sa composition ? Pour répondre à ces questions, Romane Le Gal, astronome, se sert des observations de NOEMA. Situées à 2500 mètres d’altitude dans les Alpes, les 12 antennes constituent le plus grand radiotélescope de l’hémisphère nord. En combinant leurs données, elles deviennent alors un télescope géant d’un diamètre de 1,7 kilomètres.

Audiodescription

Avec le télescope de 30 mètres de Pico Veleta en Espagne, NOEMA est l’un des deux observatoires de l’Institut de radioastronomie millimétrique (IRAM) situé à Grenoble. Fortement soutenue dès sa création par la MPG et le CNRS, avec une participation ultérieure de l’Instituto Geográphico Nacional espagnol, l’IRAM est une infrastructure de rang mondial, labélisée sur la feuille de route française. Elle étudie les origines et l’évolution des planètes, des étoiles et des galaxies. L’institut fait ainsi partie du réseau international Event Horizon Telescope qui a présenté la première image d'un trou noir en 2019 puis du trou noir Sagittarius A* situé au centre de notre galaxie en 2022.

Des partenaires majeurs pour les infrastructures en astronomie…

Avec un budget dépassant 50 M€, « le projet NOEMA est une démonstration exemplaire du partenariat franco-allemand dans la réalisation de très grandes infrastructures de recherche qui font de la France un leader de l’astronomie sur la scène internationale », assure Nicolas Arnaud, directeur de l’Institut national des sciences de l’Univers (Insu) du CNRS. « L’inauguration du télescope est un marqueur important de la coopération entre le CNRS et la MPG. », confirme Etienne Snoeck, responsable des affaires européennes à la Direction Europe de la recherche et coopération internationale (Derci) du CNRS.

Inauguration act
Antoine Petit et Martin Stratmann ont inauguré la mise à jour de NOEMA le 30 septembre, en présence de Karl Schuster, directeur de l'IRAM et Stephane Guilloteau, directeur de recherche au CNRS, membre du conseil de l'IRAM. © IRAM

Au-delà de NOEMA, la France et l’Allemagne sont en effet des partenaires majeurs pour l’astronomie, partageant la plupart de leurs infrastructures d’échelle européenne. Des projets qui nécessitent des budgets importants et des expertises avancées. Les deux pays sont par exemple membres fondateurs de l’Observatoire austral européen (ESO), avec les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni et la Suède. Ils ont réalisé ensemble plusieurs instruments, dont GRAVITY1  installé sur le Very Large Telescope (VLT) au Chili, qui a permis de ​​confirmer des prédictions de la relativité générale. Son successeur GRAVITY+ est en cours de construction par le même consortium. « Le couple franco-allemand est essentiel dans ces projets colossaux menés au niveau européen. Aucun pays ne peut faire face seul à la compétition mondiale. », explique Martin Giard, directeur adjoint scientifique Astronomie et Astrophysique à l’Insu.

L’Allemagne et la France ont également mis en place un « partenariat très fort » autour du Cherenkov Telescope Array (CTA), une nouvelle génération de télescopes gamma dont la construction doit s’achever en 2025 aux îles Canaries et au Chili. Rassemblant plus de 200 laboratoires de recherche dans 32 pays du monde – la France étant représentée par le CNRS et le CEA –, le CTA sera capable d’observer les événements cosmiques les plus violents, comme des étoiles en fin de vie ou les jets issus de trous noirs, produisant des particules de très haute énergie. Dans ce contexte de collaboration internationale, les laboratoires français jouent un rôle clé, en assurant la responsabilité de la conception et de la réalisation de plusieurs éléments essentiels des télescopes du CTA, dont les caméras des télescopes de moyenne taille.

Télescope du VLT, photo de nuit
Le Very large telescope (VLT) est installé dans le désert d'Atacama au Chili. © Eric LE ROUX/ESO/Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS Photothèque

Les deux pays s’entraident aussi pour entrer dans la collaboration SKA Observatory (SKAO), organisation intergouvernementale qui assurera la construction puis l’exploitation du plus grand instrument de radioastronomie jamais réalisé. Priorité du CNRS, pilote de la « Maison SKA-France2  », ce télescope permettra d’étudier la formation des toutes premières étoiles et galaxies peu de temps après le Big Bang.

… et les missions spatiales d’envergure

En dehors de ces exemples d’astronomie au sol, des missions spatiales sont aussi conçues et pilotées en collaboration entre l’Allemagne et la France, souvent via les agences spatiales européenne (ESA) ou nationales (CNES et DLR). C’est le cas des missions Merlin3 , qui mesurera la quantité de méthane dans l’atmosphère pour estimer à l’échelle planétaire les flux de ce gaz et son impact sur le climat, ou Plato4  pour la détection et caractérisation d’exoplanètes. Les deux détecteurs innovants de la mission Athena5 , futur observatoire spatial de l’Europe, seront fabriqués par la France et l’Allemagne. Opérant dans le domaine des rayons X, Athena s’intéressera aux phénomènes les plus extrêmes observables dans l’Univers, comme les amas de galaxies et les trous noirs supermassifs, avec un niveau de détail et une sensibilité jusque-là inégalée. Ces missions passent des sélections drastiques pour être lancées, le soutien de plusieurs pays étant un fort avantage.

Satellite tirant un laser vers la surface de la Terre visible en arrière-plan
En 2024, le satellite franco-allemand Merlin (Methane Remote Sensing Lidar Mission) sera mis en orbite terrestre. © CNES/illustration David DUCROS, 2016

Ces collaborations naissent « toujours » de projets portés par des scientifiques des deux côtés du Rhin. Une stratégie d’ensemble s’organise ensuite quand le projet prend de l’ampleur, d’abord entre organismes de recherche puis entre gouvernements. Les trois niveaux de coopération sont indispensables au bon fonctionnement des infrastructures de recherche communes. Mais « en sciences spatiales, dès lors que les aspects industriels sont plus forts avec des conséquences importantes sur l’économie des pays, la collaboration se teinte de compétition », prévient Martin Giard, les scientifiques pouvant aussi rester en concurrence pour l’exploitation des données fournies par ces instruments.

L’Allemagne, partenaire privilégié du CNRS

Toutes disciplines confondues, l’Allemagne représente 55 % des participations de pays tiers dans les grandes infrastructures de recherche gérées par le CNRS. « Sur les 64 pays du monde entier avec lesquels nous travaillons dans nos infrastructures de recherche, l’Allemagne est numéro 1, devant l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et les Pays-Bas », compte Éric Humler, président du comité des très grands équipements scientifiques et grandes infrastructures (TGIR) du CNRS.

La raison de ce palmarès est à la fois historique – l’Allemagne ayant été un des premiers partenaires des grands instruments comme au CERN dès le début des années 1950 ou à l’IRAM en 1979 – et stratégique : « Le classement suit le PIB des pays qui est un bon indicateur pour les moyens disponibles pour la recherche », note Éric Humler, pour qui « la coopération entre la France et l’Allemagne, moteurs de l’Europe, est tout aussi importante pour eux que pour nous ».

  • 1Le consortium est dirigé par l’Institut allemand Max Planck pour la physique extraterrestre (MPE) et implique le CNRS, l’Observatoire de Paris – PSL, l’Université Grenoble-Alpes et plusieurs universités françaises.
  • 2Pilotée par le CNRS, la « Maison SKA-France » créée en 2018 rassemble quatorze partenaires : sept établissements publics (CNRS, Observatoire de Paris - PSL, Observatoire de la Côte d'Azur, Inria, CEA, Université de Bordeaux et Université d'Orléans) et sept entreprises (Air Liquide, ATOSBull, Callisto, CNIM, FEDD, Kalray, Thalès).
  • 3Pour Methane Remote Sensing Mission.
  • 4Pour PLAnetary Transits and Oscillations of stars.
  • 5Advanced Telescope for High-ENergy Astrophysics.

Au-delà des infrastructures, des liens forts

Signature
©IRAM

À l’occasion de l’inauguration de NOEMA le 30 septembre, a aussi été signé l’accord SALTO entre le CNRS et la MPG. Ce nouveau plan stratégique de mobilité sera lancé grâce à un appel à candidature d’ici la fin de l’année et permettra l’accueil de jeunes scientifiques, aux niveaux du doctorat et du post-doctorat, de la MPG dans des laboratoires du CNRS, et inversement. C’est un dispositif de coopération qui vient compléter ceux qui existent déjà pour la création de réseaux ou de projets communs. « Transdisciplinaire, la société Max-Planck est le deuxième partenaire du CNRS en Allemagne, en termes de copublication, tandis que le CNRS est le premier partenaire de la MPG. », affirme Etienne Snoeck. Des liens existent aussi bien au niveau des organismes eux-mêmes qu’entre instituts du CNRS et instituts thématiques de la MPG de manière bilatérale, en particulier avec l’IN2P3 et l’INSU, illustrés par les nombreuses infrastructures de recherche, les 3 IRP et 7 IRN7  communs. Le CNRS et la MPG sont également membres du réseau G68  qui a vocation à faire connaître à la Commission européenne les positions communes de ses membres sur des sujets liés à la recherche et l’innovation. « Le CNRS souhaite renforcer plus encore ses relations avec ce partenaire privilégié qu’est la société Max-Planck », conclut Etienne Snoeck.

  • 7International Research Project (IRP) et International Research Networks (IRN).
  • 8Outre le CNRS et la MPG, le G6 associe également le CNR italien, le CSIC espagnol et les associations Helmholtz et Leibniz en Allemagne.

Les infrastructures franco-allemandes sont de toute taille, avec des participations importantes de l’Allemagne dans des IR* sur territoire français (comme le synchrotron européen ESRF6  ou l’Institut Max von Laue – Paul Langevin) ou de la France dans des infrastructures sur territoire allemand (comme Facility for Antiproton and Ion Research – FAIR – ou la source de lumière XFEL), mais aussi de multiples participations dans des infrastructures de taille plus modeste. La plupart des IR* sont reconnues dans la feuille de route du Forum européen des infrastructures de recherche (ESFRI) et représentent un « effort commun de tous les partenaires européens face à la Chine et aux États-Unis », assure le président du comité TGIR.

Pour présenter des positions communes, des réunions de très haut niveau sont nécessaires, d’autant que les contextes de recherche et économique ne sont pas les mêmes dans les deux pays. La recherche allemande bénéficie de 3,14 % du PIB du pays en 2020, contre 2,35 % en France, et l’organisation même des institutions de recherche et de leurs financements varie. « La MPG a une excellente capacité à mobiliser rapidement des ressources financières et humaines de très grande expertise, tandis que la France a une tradition d’exploration de pistes de recherche plus diverses, une démarche utile pour faire avancer un domaine. », conclut Guy Perrin, co-responsable des instruments MIDI et GRAVITY à l’ESO, construits avec l'Allemagne : « La combinaison des deux fait des miracles. » Pour le démontrer, le 7ème Forum franco-allemand aura lieu à la Maison internationale de la Cité universitaire internationale de Paris le 9 décembre prochain.

  • 6European Synchrotron Radiation Facility.