PEPR Maths-VivES : Relever les défis du 21e siècle avec les mathématiques

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Le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire Maths-VivES – piloté par le CNRS – vise à développer des théories, des modèles et des outils mathématiques pour une meilleure compréhension et appréhension des grands enjeux du 21e siècle. Ses équipes interdisciplinaires aborderont des questions scientifiques allant du suivi comportemental d’une cellule à la dynamique du système climatique. Il bénéficie d’un budget de 50 millions d’euros sur 10 ans. Échanges avec Arnaud Guillin, directeur du programme, à l’occasion de l'annonce du programme le 27 septembre 2023 par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Pourquoi les différentes sphères de notre société ont-elles besoin de plus de modèles mathématiques ?

Arnaud Guillin1 : Nous sommes confrontés à des phénomènes de plus en plus difficiles à modéliser, à anticiper et à contrôler comme le changement climatique, l’extinction des espèces, les défis de santé publique ou encore la gestion durable des villes. Relever ces défis impose une nouvelle stratégie scientifique pluridisciplinaire et innovante dans laquelle les mathématiques ont un rôle essentiel à jouer. En effet, leur capacité à proposer un langage universel pour appréhender des phénomènes complexes d’horizons variés est un atout indispensable pour la recherche scientifique.

Ces dernières années, plusieurs initiatives fructueuses ont, en ce sens, misé sur des interactions entre les mathématiques et d’autres sciences, comme le programme Modcov19 qui a apporté des modèles prédictifs lors de la pandémie de Covid-19 ou l’Institut des mathématiques pour la planète Terre (iMPT - 2021). Le PEPR2 Maths-VivES (Mathématiques pour le vivant, l’environnement et la société) va promouvoir ces thématiques à une plus grande échelle en vue d’apporter des éléments de réponse aux grands enjeux susmentionnés. Avec ce programme, nous espérons que les scientifiques d’autres sciences pourront aborder leurs problématiques sous un angle nouveau grâce aux regards croisés avec des mathématiciennes et mathématiciens.

Comment sera organisée la recherche au sein du PEPR ?

A. G : Le programme se décline en trois axes thématiques : le vivant, l’environnement et la société qui seront abordés au sein de dix projets ciblés lors de la phase initiale. Chacun d’eux sera co-animé par un mathématicien et un expert du domaine d’application. Chaque équipe a vocation à proposer, développer et analyser des modèles mathématiques. Pour certains, il faudra créer de nouveaux outils en partant de rien. Pour d’autres, l’enjeu sera de pallier les limites de solutions préexistantes. Rapidement, des appels à projets seront lancés afin d’identifier de nouveaux thèmes de recherche, en bénéficiant notamment de l’expérience fructueuse de l’iMPT. Le PEPR sera également attentif aux transferts technologiques et sociétaux potentiels. Il pourra alors notamment s’appuyer sur l’Agence pour les mathématiques en interaction avec l’entreprise et la société.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’applications futures et les enjeux associés ?

A. G : Nous l’avons vu avec la pandémie, coupler des méthodes statistiques à des modèles est très utile pour aider à la prise de décisions en politique de santé. Les mathématiques ont aussi beaucoup à apporter à des fins d’aide au diagnostic, de suivi de patients ou encore à la détection précoce de maladies. D’un point de vue plus prospectif, la population humaine interagit avec une grande diversité d'espèces. Mieux comprendre ces interactions permettra d’anticiper les crises sanitaires futures.

Un des projets abordera également l’évolution du climat en couplant les modèles océaniques et atmosphériques. Le système climatique est une grosse machine que nous avons décomposée en briques afin de simplifier les simulations, mais ces briques sont interconnectées. L’idée est donc d’aller plus loin dans la représentativité de ces modèles de climat et d’apporter, notamment via des modèles statistiques, des indices de fiabilité des résultats qu’ils proposent. Il est aussi question d’étudier des effets plus locaux, notamment de simuler l’impact des changements environnementaux sur des agrosystèmes.

Enfin, d’autres enjeux portent, par exemple, sur l’urbanisation résiliente et l’aménagement du territoire. D’ici à 2050, 70 % de la population mondiale vivra en ville. La modélisation mathématique peut apporter aux pouvoirs publics un outil d'évaluation de la pertinence de projets d’aménagement en amont. Sur cet axe, nous explorerons aussi l’intégration de nouvelles mobilités, des énergies renouvelables, tout en prenant en compte les risques émergents associés à la pollution, aux inondations, etc.

Certains objets étudiés sont très hétérogènes et impliquent pourtant les mêmes mathématiques. Comment le PEPR va aborder ces différents liens ?

A. G : Un programme transverse plus prospectif sera dédié à l’étude des interactions entre nos trois axes. Il sera question d’analyser les interconnexions entre les sujets qui peuvent s’influencer comme l’environnement et la santé. Autrement, par le passé, nous avons vu qu’il y a un intérêt à identifier des méthodes mathématiques qui pourraient s’appliquer à des problèmes différents. C’est le cas de la théorie mathématique des ondelettes qui s’utilise désormais aussi bien pour compresser des images que pour étudier des ondes sismiques. En ce sens, la puissance des mathématiques réside dans leur capacité à travailler en abstraction, c'est-à-dire indépendamment de l’application. Cette abstraction mathématique et les va-et-vient avec leurs mises en applications vont favoriser ce type de transfert sur des objets d’études potentiellement différents. Pour illustrer ce propos, le même formalisme mathématique permet de modéliser des colonies de bactéries en interactions et des foules humaines en mouvement.

Quelle va être la place de ce programme dans le paysage des modèles existants ?

A. G : La transversalité de notre programme fait écho à d’autres PEPR d’accélération comme Santé numérique ou exploratoires comme TRACCS sur le climat, IRiMa sur la gestion des risques ou encore le PEPR Sous-sol. Le CNRS met en place des actions pour favoriser les échanges entre programmes et faire en sorte qu’ils se complètent.

Par-delà nos frontières, quelques projets partant des mêmes motivations que Maths-VivES, mêlent également mathématiques et autres sciences à l’image du Mathematics of Planet Earth au Royaume-Uni. Nous allons constituer un comité scientifique international chargé de suivre ces programmes et assurer la promotion du nôtre à l’international. Nous voulons également créer des chaires internationales afin d’inviter des chercheurs étrangers à collaborer avec nous et travailler au mieux sur ces thématiques qui ne sauraient se limiter à la France.

  • 1Arnaud Guillin est mathématicien spécialiste des probabilités à l’Université Clermont Auvergne.
  • 2Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et considérés comme prioritaires au niveau national ou européen.